Bruno Metsu: Il savait qu’il allait mourir dans trois mois !

L'équipe de la rédaction d'Africa Top Sports




En juillet dernier, L’Equipe accordait un long article à l’ancien sélectionneur du Sénégal. La maladie le rongeait déjà à l’époque. On lui avait diagnostiqué trois cancers (foie colon et poumon). Et il ne lui restait que trois mois à vivre: « Je vais faire des analyses de sang et le gars m’annonce, sans y mettre les formes : ‘Vous êtes en phase terminale du cancer. Vous avez des cancers du colon, du foie et du poumon.’ On m’a donné trois mois… Là, c’est un choc énorme« .

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Retrouvez l’émouvant entretien de L’Equipe du 31 juillet 2013.

Le soleil caresse les corps en cette chaude journée de juillet, Bruno Metsu cinquante neuf ans nous attend près de sa piscine ouverte de la banlieue de Dunkerque où il réside en ce moment. Depuis la découverte de ses cancers en octobre dernier à Dubaï, Metsu qui a dû quitter son poste à Al-Wasl (Dubai), a perdu son beaucoup de poids, porte les cheveux plus courts, mais son regard bleu lagon n’a pas changé, sa voix est toujours aussi dynamique. La chimio subie la veille ne semble avoir effet sur sa vitalité. «J’arrive même à manger», glisse-t-il dans cette maison du bonheur qui respire au rythme des allers et venues de ses proches. L’entraineur français aime ce lieu d’échanges, de retrouvailles, il se nourrit des rires de ses enfants. L’ancien sélectionneur Sénégal (voir par ailleurs) a accepté de nous raconter ce qu’il affronte. Non pour se lamenter mais pour livrer un message d’espoir. Tout n’est pas facile, il l’avoue, mais il se sent aujourd’hui humainement plus riche. Et compte bien remporter ce match-là, en dépit des premiers diagnostics pessimistes.

«Vous êtes en phase terminale…»
«Nous étions en stage de pré saison en Allemagne et, un après midi, un orage a éclaté. J’ai pris un coup de froid terrible, je croyais que j’avais la crève. J’étais très, très fatigué, j’avais des douleurs au ventre. Puis quelques semaines plus tard en octobre 2012 à Dubaï où j’entrainais Al Wasl, je me suis senti vraiment mal en me levant du banc après un match. Je vais faire des analyses de sang et le gars m’annonce sans y mettre les formes : «Vous êtes en phase terminale. Vous avez des cancers du colon, du foie et du poumon.» On m’a donné trois mois… Là, c’est un choc énorme. J’étais avec ma femme Viviane et on s’est mis à pleurer en sortant. Tu penses à tes gamins, à tout ce que ce qui t’entoure… J’ai commencé la chimio dans la foulée. Quand je suis rentré à l’hôpital, j’étais sur un fauteuil tellement j’étais faible, mais pas question de baisser les bras. Souvent comme coach, on dit à ses joueurs : «Aujourd’hui, c’est le match de votre vie…» (Sourire). Mais ce n’est pas ça. Aujourd’hui, je joue le match de ma vie. Je suis à la mi-temps et je veux le gagner avant la prolongation. Même si le choc a été terrible, j’ai toujours positivé. Je ne lâche pas l’affaire. Il fallait que je cherche d’abord ce qui pouvait m’aider. J’ai trouvé un professeur d’énergie, Jean-Luc Stocnura. D’entrée, il m’a dit «Bruno tu n’es pas malade.» (Il sourit.) Bon, j’étais juste à l’agonie, hein… «Non, tu es en vacances. Dis-toi ça ne pense pas à la maladie !» Et tous les jours elle me met une bouffée d’oxygène incroyable. Si je ne fais pas mes séances, j’ai un manque. C’est une preuve mentale, morale très forte et tu ne dois pas te laisser aller. C’est pour ça que je parle dans vos colonne, c’est un témoignage comme quand j’ai vu un reportage sur Eric Abidal (qui a subi une greffe du foie, à la suite d’une tumeur opérée un an plutôt), ça donne de la force aux autres. C’est grandiose.»

«Neuf mois de bonheur à leurs côtés»metsu
«Ce qui est extra, c’est que j’ai appris sur moi. On parle souvent des valeurs de la famille, dans notre métier, mais j’en connaissais quoi, en fait ? Rien. Je passais mon temps avec mon équipe, je rentrais tard le soir. Aujourd’hui, je vois mes enfants grandir. J’ai vécu neuf mois de bonheur à leurs côtés, j’aurais pu me morfondre mais c’est tellement mieux que le foot, ce que je vis avec eux. Sans ça, je n’aurais jamais connu ces valeurs familiales. Et c’est magique. Je me dis parfois : «Comment ai-je pu passer à côté de ça ?» Ce type d’épreuves t’apporte aussi beaucoup. Tu vois les choses différemment, c’est un plus, même si je ne sais pas de quoi sera fait mon avenir. Tu prends une force intérieure nouvelle, comme Abidal. Tu sais où sont les valeurs, tu es encore plus humain qu’avant alors que c’était déjà ma principale qualité dans le foot. Et quand je vois tous ces gens qui me soutiennent, ça veut dire beaucoup pour moi.

«Je ne me considère pas comme malade, je suis avec les enfants, je joue au foot»
«Même si j’ai trois cancers, ce n’est pas pour ça que je me laisse abattre. Des potes s’étonnent, d’ailleurs que je sois en chimio. Et c’est ma dix-huitième ! Mais, à part les 17 kilos que j’ai perdus, ils ne l’imaginent pas. J’ai gardé cette idée en moi : je dois lutter. Et lutter. Et je ne suis pas seul. Ma famille a été tout pour moi, ma femme a été exceptionnelle, elle a tout géré et je ne sais pas comment elle fait, parfois. C’est un soutien moral incroyable. Justement mon prof d’énergie, au début, lui a dit de ne pas pleurer. «Plus tu pleures, plus ça va rejaillir sur son corps. Et si tu as envie de pleurer ne le fais pas devant lui. » Il ne voulait pas que je parle aux gens qui projetaient une mauvaise énergie sur moi. J’ai pourtant eu des potes qui étaient en pleurs, comme Sabri (Lamouchi, aujourd’hui sélectionneur de la Côte d’Ivoire).

Je leur ai dit à tous : «Ne vous inquiétez pas, ça va bien.» c’est mon caractère joueur, j’avais une énorme force mentale. Car avec 18 chimios tu dérouilles quand même. Les neuf premières, ça allait, le colon et le foie se sont stabilisés. Ensuite j’ai dû avoir un autre protocole car la maladie avait gagné ailleurs. Parfois elle gagne du terrain, parfois c’est moi. En ce moment, ça s’est bien stabilisé au niveau du foie et du poumon et mes tests sanguins s’améliorent. A Dunkerque, j’ai repris 2 kilos, c’est une bonne nouvelle. Je vis normalement, je ne me considère pas comme malade, je suis avec les enfants, je joue au foot. Bon, là, j’ai du mal car je suis vite cuit (rire), mais ils doivent avoir une bonne image de moi. Et, à part Enzo, le grand, neuf ans, qui pose des questions, les autres ne comprennent pas. Le petit, Noah, qui a six ans, me parle de plaquettes, de globules rouges, blancs, mais sans rien saisir. C’est génial ! (Rire.)»

«Dix jours entre la vie et la mort… »
«Quand on te donne trois mois, tu te bas pour aller plus loin. Tu te dis : «Toi, tu ne m’auras pas en trois mois ! Et si tu me bats, ce ne sera pas facile.» Mais j’ai eu pire que ça et peu de gens sont au courant. En février, on ne s’est pas rendu compte que j’avais une pneumonie et j’ai fait de la chimio dessus. Je suis resté dix jours entre la vie et la mort. C’est l’épreuve la plus difficile que j’ai connue. Les médecins étaient avec ma femme, j’avais des «perfs» partout, j’étais sous oxygène avec 6 ou 7 de tension. Je me suis réveillé au moment où ils venaient de lui dire de prévenir la famille que ça pouvait être la fin. Car 90% des gens ne survivent pas dans cet état. Mais j’ai eu un instinct de survie terrible.
Quand je suis arrivé, déjà, à l’hôpital, je suis tombé par terre, je ne pouvais plus bouger. J’ai perdu la vue deux heures, un black-out total. J’ai vraiment souffert… Le cancer, c’était une grosse épreuve mais, là, c’était bien pire…Toutes les deux heures, pendant dix jours en soins intensifs, ils me faisaient des prises de sang. A un moment, je demande à l’infirmier : «On n’est dans l’hôpital Dracula ou quoi ? Vous me prenez du sang toutes les deux heures. (Rire.)» Et il m’a répondu : «Le sang de Metsu, à Dubaï, ça se vend bien. (Rire.)» Je voyais les nains de Blanche Neige dans ma chambre, j’avais tellement d’hallucinations que je discutais aussi avec Martin Luther King et Otis Redding (Rire). Véridique, honnêtement, si j’avais été seul, sans ce magnifique entourage, je me serais laissé partir. Si tu es seul, pourquoi souffrir autant ?
C’est là que je comprends le sens du match de ta vie. A Séoul, avant France-Sénégal en Coupe du monde 2002 (0-1), j’avais dit aux gars : «Il va arriver un tremblement de terre, le Sénégal va battre la France. C’est le match de votre vie, etc.» Mon message serait encore plus puissant aujourd’hui, mais avec des mots différents. Je ne dis pas que c’est une chance, ce qui m’arrive, mais cette épreuve, si je la passe avec succès, va me rendre plus fort. Ma chance, même si je n’en ai pas eu beaucoup, peut-être, sur ce coup, est d’avoir vu la mort arriver mais de l’avoir repoussée.»

« Quand Maradona sort de sa limousine…»metsudiouf
«Un jour, je vois une limousine de six portes, longue comme la rue. Un petit bonhomme sort, en short, baskets, montre aux deux poignets, des boucles d’oreilles. Il m’embrasse, me donne une montre. C’était Diego Maradona (son prédécesseur comme entraineur à al-Wasl). Le mythe. Jamais je n’aurais imaginé ça… C’était comme un rêve. Ça va paraitre superficiel mais, pour moi, ce moment a été magique. On est resté deux heures ensemble, à parler via un interprète. Je l’ai revu dans un meeting d’entraineurs à Dubaï, il est encore venu m’embrasser. Il y avait José Mourinho lors de ce meeting. Je voulais aller au Real l’an passé voir son travail mais je ne m’imaginais pas l’appeler. Je suis qui pour appeler Mourinho ? Il arrive comme une rock star, dit bonjour à Michel (Platini). Michel me présente dit : «Mais je connais Bruno ! Je suis l’entraineur de l’Europe, lui c’est l’homme du monde.» Je ne savais même pas qu’il connaissait mon nom.
Et il y a tous ces appels des joueurs du Sénégal, des gamins de Beauvais. Juninho m’a envoyé un message du Brésil. Je ne parle même pas des Barthenay, Rouquette, Rocheteau…Ou des big boss du Golfe, prêts à m’envoyer au Japon, à Houston avec leurs avions privés voir les plus grands professeurs. Ça me donne de la force tout ça. Le jour où Cheikh Tamim Al Thani (propriétaire du PSG) est devenu le nouvel Emir du Qatar, un ami me demande si je lui ai envoyé un message de félicitations. Je n’osais pas. Finalement, je lui envoie un texto et, dans la minute, il me répond : «Merci Bruno, all the best, etc. » Ça prouve qu’il respecte l’homme, qu’il y a autre chose que le résultat. Avec lui, j’ai de magnifiques souvenirs. Avant la coupe du Golfe, quand j’entrainais le Qatar (2008-2011), il m’appelle. Nous sommes allés dans le désert. Au milieu de nulle part, dans des gros fauteuils avec nos couvertures sur les épaules, en plein nuit, près des tentes, on a discuté de foot pendant deux heures. Et tout ça en français.
Samuel (Eto’o), Didier (Drogba) sont aussi venus me voir. Quand ces mecs se déplacent, ça te fait quelque chose. Jamais, je n’aurais pensé à ça. La, tu te dis : « j’ai laissé une petite trace. » Il y a aussi plein d’anonymes. Alex Dupont aussi, bien sur (ils ont été quasiment élevés ensemble). Et j’en oublie. Tiens, j’ai découvert un super mec : Gérard Houllier. Il est venu me voir à Dubaï. Il a beaucoup appris depuis sa maladie (victime d’un grave accident vasculaire en 2011).

«Je suis sur un projet d’hôtel au Sénégal… Ça me prend la tête tous les jours»
«Les médicaments, à un moment, t’en peux plus. J’avais plus de vingt cachetons par jour. J’en ai arrêté quelques-uns, récemment, et je me porte mieux. Les effets secondaires, ça te tue l’organisme. Lundi (avant-hier), j’ai passé un scanner et ça va bien mieux. Le professeur était content. Et moi encore plus ! Ce n’est que du bonheur, en ce moment ! Ici, dans le Nord, l’équipe médicale est formidable, d’une vraie gentillesse. C’est Alex (Dupont) qui m’a fait connaitre le professeur Thierry Marmousez. Je vais même prolonger un mois de plus ici jusqu’à la fin septembre. Je revois mes potes d’enfance. Mon grand me dit : «papa, ça n’arrête de sonner à la porte, on est ou ici ?» (Rire). Les potes de Lille, de Lens, Roger (Boli), Michel (Lepoutre, ancien de Sedan), il y a comme un aimant… Ici, c’est simple, quand on aperçoit ma voiture devant la porte, les amis débarquent.
Tout le monde veut me voir car les gens s’imaginent que je souffre, que je ne suis pas bien, mais quand ils m’ont au téléphone, ils sont bluffés. Je les préviens : « Ne vous inquiétez pas pour moi ! » Arnaud Dos Santos, mon ancien partenaire, a passé quatre heures formidables vendredi avec moi. Il m’a dit : « Tu nous as tellement fait chier dans les footings quand tu étais toujours en tète que tu ne vas pas lâchez maintenant. »(Rire.) La, il a raison. J’ai plein de projets. Je suis sur un projet d’hôtel au Sénégal, à Saly, ça me prend la tête tous les jours pour les plans, les travaux…
Ça ne se termine pas la ! J’ai découvert la plus belle définition du hasard : «C’est le bon Dieu qui passe incognito.» Et pour moi, c’est Aspire Qatar qui ouvre son centre d’Afrique à cinq cents mètres de chez moi à Saly (il y possède une maison). C’est une belle opportunité de continuer. Je me suis toujours occupé des enfants, j’ai eu autant de plaisir à entrainer la Gambardella de Beauvaux (86-87) que les pros. Un des premiers que j’ai emmenés à l’école de foot, c’était d’ailleurs un gamin qui sonnait chez moi : «M’sieur, on peut taper des ballons sur le mur ?» Il était un peu gros, il m’emmerdait un peu quand même (rire). Un jour, un joueur m’interpelle : «Coach, on a le bonjour à te donner de quelqu’un, du gamin qui te faisait chier tous les matins à sonner chez toi pour aller au foot.» C’était Jean-Pierre Papin ! Je vais pouvoir donner tout ça aux jeunes à Saly…»


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