Sarah Liengu Etonge : Le «Docteur des montagnes» en quête de paix

L'équipe de la rédaction d'Africa Top Sports




Sarah Liengu Etonge est sortie de sa retraite pour la seconde fois le 25 février 2017. Elle venait courir la 22è édition de la Course de l’Espoir. Pas forcément pour la gagner mais passer un message de paix et d’unité aux populations des régions anglophones du Cameroun engagées dans un désespérant bras de fer avec le pouvoir central.

Les autorités ont voulu exploiter sa popularité pour calmer les esprits échauffés. Portrait de la première reine de l’Ascension du Mont Cameroun, admirée et adulée pour ses exploits lors de l’épreuve d’athlétisme considérée comme la plus difficile d’Afrique centrale.

Sarah Liengu Etonge était de nouveau sur la montagne le 25 février 2017. A 50 ans, elle a décidé de chausser de nouveau les pointes pour courir l’épreuve de l’Ascension du Mont Cameroun rebaptisée « Course de l’Espoir ». C’est la deuxième fois qu’elle sort de sa retraite. La première fois, c’était en 2013. La détentrice du meilleur palmarès de la « course la plus difficile du monde » revenait dans la compétition après avoir raccroché en 2008. Pendant tout le temps de cette première partie de sa retraite, elle travaillait dans une entreprise d’assurances qui lui avait offert un emploi en guise de récompense. Et courait aussi lors des épreuves consacrées aux vétérans. L’année de son retour, Sarah Liengu Etonge, toujours aussi percutante, termine au deuxième rang. Pour son retour quatre ans après sa seconde retraite, la grande dame du Mont Cameroun n’a pas été aussi performante.

Elle ne s’est classée que neuvième. Il faut dire qu’elle ne s’est pas montrée déçue par sa performance. Non pas parce qu’elle a été fortement acclamée et célébrée à l’arrivée par le public, son public du Molyko stadium de Buea. Simplement parce qu’elle courait pour autre chose que la victoire ou un bon résultat. Sarah a remis sa combinaison d’athlètes pour faire la promotion de la paix et de l’unité au Cameroun. Le jour de la course, une banderole déroulée au stade de Molyko confirmait la nouvelle « Ma’a Sarah fait son retour mais va courir pour la paix et l’unité à Buea et au Cameroun », pouvait-on lire en anglais.

C’est le contexte socio-politique tendu qui prévaut dans les régions anglophones depuis novembre 2016 qui a déterminé la retraitée à reprendre le chemin des pistes. Les revendications d’avocats et d’enseignants anglophones ont plongé la région de Sarah (le Sud- Ouest) et celle du Nord-Ouest dans la violence et la tension. Cours à l’arrêt, activités au point mort, menaces, intimidations, revendications sécessionnistes, coupure d’Internet ont brisé la quiétude qui régnait dans cette partie du territoire camerounais. Secouées par le bras de fer que leur imposent depuis les syndicalistes anglophones et leurs soutiens, les autorités tentent de faire baisser la tension en faisant intervenir Sarah Etonge. « Dans le contexte très tendu qui est celui de la partie anglophone de notre pays, nous avons pensé que Sarah qui est très respectée dans cette partie était la personne indiquée pour véhiculer les valeurs de paix et d’unité nationale », va avouer un officiel camerounais.

Sarah Etonge

Une athlète abonnée à l’exploit !

Il a raison car plus qu’une championne, Sarah Liengu Etonge est devenue et ce à la force de ses mollets, une légende, une personnalité adulée dans sa région d’origine et dans le pays tout entier. Ses exploits ont fait le tour du monde. Les journalistes sont partis de plusieurs endroits du globe pour tenter de comprendre le phénomène Sarah Etonge. Comprendre comment cette frêle dame ayant connu sept maternités est parvenue pendant de longues années à dominer l’épreuve féminine de l’Ascension du Mont Cameroun. Sarah remporte l’Ascension en 1996, 1997, 1999, 1998, 2001, 2003 et 2005. Elle a détenu pendant 11 ans longtemps le record de victoires dans cette épreuve. La période de ses grands succès coïncide avec ses duels épiques avec sa rivale de toujours Catherine Ngwang. Celle-ci bat notre championne trois fois. Ce qui n’enlève rien à la popularité de Sarah. Ce qui la rend si populaire c’est sa capacité à se surpasser, à réaliser de véritables miracles. De son histoire, l’on sait qu’elle n’a pas pu achever ses études primaires par manque de moyens. Elle se marie alors qu’elle entre à peine dans l’adolescence. Elle met au monde son premier enfant à 14 ans. Son mari décède assez tôt et comme elle a besoin de ressources pour subvenir aux besoins de ses enfants, elle décide de courir. Courir pour gagner les primes mises en jeu à la l’Ascension du Mont Cameroun rebaptisée Course de l’Espoir. Et pour continuer de gagner des courses, Sarah s’entraîne sans arrêt.

Elle grimpe les pentes du Mont Cameroun 3 à 4 fois par mois. A ceux qui soutiennent que ses victoires relèvent du surnaturel Sarah Liengu Etonge envoie cette réponse : « il faudrait que ceux-là sachent que quand j’ai commence à courir, j’étais suffisamment jeune. J’avais déjà eu mes sept enfants. Le dernier d’entre eux est venu au monde quand j’avais vingt-sept ans. J’ai commencé à courir à vingt-huit ans. Comment ne pouvais-je pas gagner? J’ai couru à vingt- huit, vingt-neuf, trente, trente et un ans. A trente-deux ans, j’ai fini deuxième de l’ascension du Mont Cameroun. A trente-trois ans, j’ai gagné. En 1998, j’ai signé un record. J’ai terminé deuxième en 2008 à quarante et un an. Normal que je sois sacrée « Reine de la montagne ».

Sarah Etonge peu après avoir franchi la ligne d'arrivée

La relève est assurée

Adulée par les habitants de sa ville –Buea- et le peuple camerounais tout entier, la célèbre dame séduit aussi en haut lieu. Elle est faite « docteur des montagnes » en 2005 par les autorités de l’université de Buea. En 2008, lors de la première annonce de sa retraite une statue est confectionnée et érigée en son honneur à Buea. Le gouvernement camerounais s’engage à lui bâtir une maison. Le 14 février 2014, les clés de son nouveau logement (une villa) lui sont remises par le ministre des sports et de l’éducation physique de l’époque Adoum Garoua. Les chefs traditionnels du Sud-Ouest bénissent ce don. Peu avant, elle avait bénéficié d’un recrutement à la Samaritan Insurance.

Un parcours professionnel bien entamé selon l’heureuse bénéficiaire. « C’est un très bon boulot. Je suis une athlète. Un assureur est constamment à la recherche de clients. Je parviens à avoir beaucoup de clients grâce à ma célébrité. Les gens viennent souscrire chez nous parce Sarah, la reine de la montagne est là. Mon travail me plaît. Il y a des gens qui m’encouragent », confiait-elle l’année de son recrutement. Sarah a préparé la relève. Elle est principalement constituée de ses rejetons. L’un d’eux Esombe Lyongha, enregistre de bons résultats. Cette année il a terminé troisième de la course seniors messieurs.

Elle leur a inculqué certaines valeurs. « Je me plais à leur rappeler que pour réussir comme moi, ils doivent beaucoup travailler et être disciplinés. C’est seulement à cette condition qu’ils deviendront comme leur mère. (…) En ce qui concerne mes enfants, au fur et à mesure qu’ils grandissaient, je voyais qui pourrait devenir athlète et qui ne le pourrait pas. Ceux que je croyais inaptes à la carrière d’athlète me suivaient lorsque j’allais courir. Ils ont fini par se mettre à l’athlétisme” nous expliquait Sarah Liengu Etonge, il y a quelques années. Le record de victoires de Sarah a été égalé l’an passé par Yvonne Ngwaya. Celle-ci déclarait l’an passé ne pas être venue faire la concurrence à Sarah Etonge.

« Je sais qu’elle est ma grande sœur et que j’arrive après elle », déclarait la jeune femme. Il n’y a pas meilleur hommage…

Pierre Arnaud Ntchapda


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