Dany Bill : La légende camerounaise de la boxe thaï au pays

L'équipe de la rédaction d'Africa Top Sports




Le Camerounais Dany Bill a longtemps été la terreur des rings thaïlandais. Retraité depuis 2012, le septuple champion du monde de muay thaï prépare la relève. Il a décidé de revenir au bercail pour ouvrir des structures qui vont former des jeunes. Portrait de l’« extraterrestre » de la boxe thaï.

Dany Billé séjourne en ce moment à Douala, la ville qui l’a vu naître il y a 44 ans. En même temps que l’ancien grand champion de boxe thaïlandaise se repose en famille, il réfléchit aux projets qu’il forme pour ses jeunes compatriotes. Il envisage de vulgariser la pratique du Muay Thaï au Cameroun. « Je suis d’abord venu au pays pour voir la famille et en même temps j’ai aussi voulu voir si la boxe thaï est connue ou pas au pays. J’ai vu que cette discipline est bien là mais n’est pas encore bien connue ici. Mon rôle c’est vraiment de la faire connaître ». « Dany Bill » -comme il s’est surnommé après avoir constaté que les journalistes français n’arrivaient pas à prononcer son nom- veut montrer que c’est un sport de tradition en Thaïlande et aussi qu’il peut aider la jeunesse camerounaise. Il pense que les jeunes, les femmes et même les vieux peuvent aussi le pratiquer.

Le but ultime est d’aider les jeunes à gagner leur vie en allant combattre là où la discipline est mieux organisée. Dany Bill aimerait constituer une équipe camerounaise qui aille affronter les meilleurs combattants Européens et Asiatiques. Il se dit convaincu de ce que les boxeurs camerounais pourront battre les meilleurs combattants dans ce domaine. Pour y arriver il compte mettre en place des structures de formation. Le projet commencera par une école qu’il compte bâtir en février 2018 sur le terrain qu’il a acquis au quartier résidentiel Bonapriso, à Douala. D’autres écoles devraient être construites.

Le champion choisit le Cameroun parce que les sportifs de ce pays comme ceux d’autres nations africaines ont en eux l’énergie qui leur permet de s’imposer dans la boxe thaïlandaise.C’est pour lui une sorte de retour aux sources. « J’ai vu beaucoup de potentiel au Cameroun.J’ai vu beaucoup de gens venir boxer en Europe. C’est ce qui me motive à ouvrir une école ici car il y a beaucoup d’énergie au pays ».

Dany Bill confie avoir vu au cours de ses visites dans les salles qui existent déjà « que les gens étaient passionnés, qu’ils en veulent, qu’ils ont le mental ». C’est, selon notre interlocuteur, la preuve qu’ils ont envie de s’en sortir. Il dit qu’il faut des structures et des gens qui connaissent le domaine pour que les choses évoluent au pays. Fort de ses 32 ans de pratique en Asie, il se dit compétent pour apporter ces connaissances. La contribution des autorités sportives est souhaitée. « Si le gouvernement comprend ça va avancer, s’il ne comprend pas, ce n’est pas grave, on va passer par un autre moyen pour que les jeunes s’en sortent », dit-il en citant d’autres expériences qui ne l’ont pas découragé. « En Asie d’où je viens, c’est à peu près la même mentalité, la même chose. En Thaïlande d’où je viens c’est à peu près la même tradition, le même mode de vie. J’ai déjà eu des craintes avec les gens,c’est sûr mais cela ne me fait pas peur. Cela veut dire que j’ai eu l’habitude de combattre et la vie c’est un combat. Il faut en vouloir et la volonté est là ». La même volonté qui a hissé sur le toit du monde ce grand sportif devenu entraîneur, formateur et organisateur d’événements en rapport avec le muay thaï.

Champion du monde à 7 reprises
C’est à force d’envie et de détermination que le Camerounais se hisse au sommet de l’art martial thaïlandais dans les années 1990. Dans un pays où « lorsque l’on est champion national, l’on est reconnu champion du monde », il remporte le titre de champion à 7 reprises entre 1993 et 1999. La première fois qu’il gagne c’est le 5 décembre 1993, le jour où l’on célèbre l’anniversaire du très vénéré roi de Thaïlande. Dany Bill a remis en jeu son titre en Thaïlande 6 fois et a gagné à 4 reprises. Par la suite, il remettra plus son titre en jeu en France,en Hollande, en Autriche et continuera de gagner jusqu’en 2001.Il demeure le seul étranger à avoir jamais réalisé pareille performance et reste le meilleur Africain du muay thaï de 1993 à 2012, année où il prend sa retraite. Le grand champion aura entre temps connu deux pauses. Ils’arrête 2 ans dès 2001 et 3 ans à partir de 2003.

Dany Bill avait découvert la boxe thaï un peu par hasard. Nous sommes en 1985 en France.L’adolescent de 14 ans qui pratique alors le football, le karaté et le full contact décide de tout plaquer et d’embrasser cette discipline qu’il découvre en regardant une démonstration qui passe à la télé. Et c’est le début d’un parcours qui le verra devenir champion de France à 15 ans. S’en suivent 40 combats amateur puis un passage au statut de boxeur professionnel. Le compatriote de Samuel Eto’o’ et Roger Milla a choisi le sport de combat numéro 1 en Thaïlande pour de bonnes raisons. « Sur le ring le muay thaï est le sport le plus complet.Quand je rentrais chez moi j’étais vraiment fatigué. Les autres sports ne m’épuisaient pas autant. C’est ce qui m’a plu dans ce sport. Il est complet, il canalise l’énergie. Il est complet parce qu’il rassemble la boxe anglaise, la boxe traditionnelle. On peut faire les pieds, les coups de coude, les genoux, les projections. Il vous permet de connaître votre corps et de vous surpasser. C’est un sport très mental, physique et spirituel », apprécie-t-il.

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Dany Bill s’est mis à aimer la Thaïlande qu’il présente comme son 3ème pays après le Cameroun et la France. Il parle le thaï, la langue locale et dit avoir compris la mentalité et la philosophie du muay thaï. Il a surtout compris l’Afrique grâce à la Thaïlande. Dany Bill fait savoir qu’il s’est fait expliquer que « les anciens maîtres africains ont voyagé jusque là-bas ». Les vieux maîtres lui ont dit : « si tu es là c’est que tu es de retour car tes ancêtres étaient là avant ». Sa renommée s’est étendue jusque dans cet Occident qu’il avait quitté pour aller chercher gloire et fortune en Orient. « Karaté Bushido, le magazine spécialisé en arts martiaux le plus réputé en Europe m’a consacré des sujets plusieurs fois. Sa rédaction m’a surnommé un jour « le surdoué », « l’extraterrestre du Muay Thaï ». Une expression de tristesse se dessine sur son visage et la colère monte dans sa voix lorsqu’il évoque quelques mésaventures. « En Thaïlande j’ai souffert de l’ignorance et en Europe du racisme », déclare-t-il. Il en veut surtout à cette France qui ne l’a jamais vraiment acceptée.

Un champion pas si Français que ça
Le champion décrit une situation dans laquelle il est adulé et présenté comme combattant français alors même que l’on lui a refusé la nationalité. Il crie alors à l’hypocrisie. « Si je boxais avec un Français de race blanche, ils disaient : « le Camerounais ». Dès que j’ai battu tous les Français, dès que je boxais les Thaïlandais, ils disaient : « le Français ». Et après je leur disais : « je ne suis pas Français, je n’ai même pas la nationalité française. Parce que je ne suis pas né en France, je suis né au Cameroun. J’ai essayé de faire la demande de naturalisation dans les années 1990, ils me l’ont refusée. Je ne possède pas la double nationalité. Ils m’avaient expliqué qu’ils ne me la donnaient pas parce que je n’étais pas marié à une Française, que le sport que je pratiquais n’était pas reconnu en France. Alors je leur ai dit : « si vous ne voulez pas ce n’est pas grave. Si je boxe à l’étranger ne dites pas que je suis Français. Mais à la télé ils disaient encore « le Français ». J’ai boxé dans beaucoup de pays et ils disaient « le Français », « le Français » ! C’est là que j’ai commencé à comprendre que ce sont des hypocrites. Je suis toujours Camerounais. Ça ne me dérange pas aujourd’hui ! », réagit Dany Bill.

Le boxeur à la retraite retrouve tout de même le sourire quand il évoque les gains que lui a procurés sa pratique du muay thaï. « Grâce à mon sport j’ai gagné ma vie. Tout ce que j’ai c’est grâce à mon sport », lâche-t-il, ajoutant que l’activité nourrit bien et de mieux en mieux son homme. L’ex boxeur nous révèle qu’en passant professionnel un combattant peut gagner jusqu’à l’équivalent de 10 millions de Francs CFA. Il y en a qui repartent chez eux avec 5 fois plus d’argent. Il signale l’intérêt croissant des partenaires parmi lesquels les télévisions. Une arrivée qui fait grossir la cagnotte des boxeurs. « Maintenant il y a beaucoup plus d’argent parce qu’il y a plus de sponsors », constate-t-il le sourire en coin.

Pierre Arnaud Ntchapda


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