CHAN 2018: Henry Manga « Le Cameroun a été éliminé parce qu’il y a eu une mauvaise préparation et un mauvais choix de joueurs »

L'équipe de la rédaction d'Africa Top Sports




Comprendre l’élimination prématurée de l’équipe nationale A’ du 5ème championnat d’Afrique des nations de football. C’est l’exercice auquel nous avons décidé de nous livrer en compagnie d’Henri Manga, le consultant football de la radio BBC Afrique. Ce technicien camerounais avance plusieurs raisons pour expliquer la déroute des fauves d’Afrique centrale au Maroc. Parmi celles-ci la mauvaise organisation du football au pays des célèbres Lions indomptables. Diagnostic.

 

Comment avez-vous trouvé les Lions indomptables au championnat d’Afrique des nations 2018 ?

Cette sélection n’a pas comblé les attentes de nous autres techniciens. Parce qu’au départ, selon la littérature qui nous avait été servie avant la compétition, ce sont les meilleurs joueurs du championnat qui avaient été sélectionnés pour pouvoir évoluer à ce tournoi. On attendait le Cameroun au-delà des quarts de finale. Vous savez que ce pays a atteint deux fois les quarts de finale de cette compétition avec les sélectionneurs Emmanuel Ndoumbe Bosso et Martin Ndtoungou Mpilé. L’on attendait le Cameroun peut-être en demi-finale, mais l’on ne l’attendait pas sortir lamentablement au premier tour, surtout avant le dernier match de poule. Ce qui est éminemment catastrophique ! Les adversaires du Cameroun n’étaient pas des foudres de guerre. Les Angolais n’avaient plus flirté avec le CHAN depuis 7 ans. Ils étaient complètement déconnectés de cette compétition. Il est vrai que le Congo-Brazzaville a éliminé le champion en titre qu’est la République démocratique, mais ce n’est pas un foudre de guerre. Lors d’un entretien que nous avons eu avec Idrissa Traoré « saboteur », le sélectionneur du Burkina Faso, il nous  a dit que tous les joueurs qu’il avait utilisés pendant les éliminatoires, ses cadres,  sont tous partis. Il a continué avec une sélection constituée pratiquement de  juniors pris dans le championnat du Burkina, le « Faso foot ».  C’étaient des adversaires à la portée des Lions A’. Mais après l’élimination nous nous sommes rendu compte qu’il y avait eu une mauvaise préparation et un mauvais choix de joueurs.

Sur le terrain l’équipe du Cameroun n’était  pas particulièrement attrayante. Est-ce par exemple à cause du manque de compétition vu que le championnat ne se joue pas depuis plusieurs mois ?

Je vais d’abord évacuer l’arguent du championnat. En 2011, le Cameroun était quart de finaliste. Pourtant le championnat était mauvais ! Pareil pour le  CHAN 2016 que les Camerounais ont disputé et atteint les quarts de finale alors qu’ils avaient un mauvais championnat.  Lorsque vous regardez le comportement des équipes camerounaises en coupes d’Afrique des clubs, il n’est pas fameux. Aucune d’elles n’a franchi le cap des  16èmes de finale en dehors de Coton sport de Garoua. Je parle de la préparation. Il y a eu deux matches contre la Guinée Equatoriale et un ou deux matches contre des équipes ici au Cameroun. Nous avons même  proposé que cette équipe du CHAN joue les deux derniers matches des éliminatoires de la Coupe du Monde 2018 contre la Zambie et l’Algérie puisque le Cameroun état déjà éliminé, mais personne ne nous a suivi. Les deux matches de préparation  contre le Maroc et la Guinée n’en étaient pas. Le temps d’acclimatation n’était pas suffisant. Pour jouer une compétition comme le CHAN où l’on retrouve des recruteurs il faut une acclimatation d’au moins un mois. Les A’ camerounais devaient être au Maroc depuis le mois de décembre. Au niveau du choix des joueurs. Les équipes qui poursuivent la compétition actuellement sont constituées d’ossatures de clubs. Vous avez une défense des Lions indomptables dans laquelle le gardien vient d’un club et les deux défenseurs centraux viennent de deux autres clubs différents. Ce qui n’est pas commode. Si je prends l’exemple du Maroc, le gardien de buts et trois des quatre défenseurs évoluent au Raja de Casablanca. Donc l’entraîneur n’a plus un problème de discours, de cohésion parce que ces joueurs  ont joué ensemble toute la saison. En équipe nationale on convoque les joueurs par rapport à un certain type de cohésion.   En prenant toutes les sélections qui sont arrivées en quarts de finale, vous vous rendrez compte qu’en Zambie ce sont les clubs Zanaco et Zesco qui en constituent l’ossature, au Nigeria Enyimba et Akwa United, En Angola c’est le Petro Atletico, au  Soudan, c’est Al Hilal et El Merreikh. Lorsque l’on vous nomme entraîneur pour préparer le CHAN, il faut vous fixer sur les deux ou trois meilleurs clubs du championnat. Mais l’on s’est rendu compte que l’encadrement technique du Cameroun actuel s’est contenté des listes des joueurs que les entraîneurs des clubs envoyaient. Rigobert Song n’a pas eu le temps nécessaire pour observer le championnat camerounais.

« Rigobert Song a été mis trop tôt sous les feux de la rampe »

Le sélectionneur Rigobert Song qui est pointé du doigt par certains qui lui attribuent une part de responsabilité dans cet échec. Faut-il  l’indexer ?

Je ne vois pas les choses sous cet angle-là. Rigobert Song a une aura. Il fut un capitane  emblématique des Lions indomptables. Vous connaissez le nombre impressionnant de ses sélections. C’est une icône. C’est à-dire que quand il arrive dans une sélection nationale, c’est  pour que le discours de l’encadrement technique passe. Les gens qui l’ont nommé l’ont mis trop tôt sous les feux de la rampe. Quand je regarde l’évolution de toutes les anciennes stars qui se sont reconverties dans l’encadrement tous commençaient toujours avec les catégories jeunes. Et lorsqu’on décidait par exemple de vous nommer à un très haut niveau, on vous mettait adjoint.   Je suis parfaitement d’accord que Rigobert Song soit adjoint dans les sélections A et A’ et numéro 1 en juniors, cadets, progressivement pour qu’il se forge. Car vous n’ignorez pas qu’il n’a pas encore entraîné un club au Cameroun. C’est-à-dire que vous avez des joueurs chaque jour qui vous tracassent. En fin de semaine vous jouez un match les gens vous insultent, remettent en cause vos choix. La pluie vous mouille, le soleil vous brûle sur les bancs de touche camerounais pendant une saison. Il faut vivre cela ! Le meilleur entraîneur A’ au Cameroun c’est celui qui vit tout cela.  Mais Rigo n’a pas vécu cela. Il avait été team manager en  sélection A c’était déjà une grande expérience, mais ce n’était pas le lieu de lui donner les mannettes des A’. Une compétition pour une compétition au cours de laquelle il faut refaire l’équipe tous les deux ans. Vous voyez  que quand il faut le faire il faut se baser sur un championnat irrégulier, avec une fédération qui n’est pas en place, les querelles entre les différentes instances de sport, vous prenez donc Rigobert Song que vous mettez dans ce panier à crabes pour qu’il s’en sorte comment ?  Je ne suis pas de l’avis de ceux qui l’accablent. Il n’a fait que son travail ! C’est vrai qu’il était très optimiste dans son langage, mais c’est aussi ça le rôle d’un entraîneur ! Si le début de la saison est maintenu pour le 10 février 2018 c’est à partir de cette date que Rigobert Song devra commencer à sillonner les stades pour préparer le prochain CHAN. Là il aura tout le temps. Il aura découvert qui est qui, qui joue mieux avec qui dans quel club. Je pense que ce sera bénéfique pour lui.

La contre-performance du Cameroun au CHAN 2018 a réveillé  le débat sur les capacités des joueurs qui évoluent au terroir. Il s’en trouve pour estimer que le niveau du championnat local est bas, que les joueurs qui évoluent ici ne méritent pas d’être appelés chez les A parce que pas au niveau. Etes-vous du même avis ?

Sur le plan local, le footballeur de l’Elite one et de l’Elite two est très mal loti. Si vous prenez le nombre de matches par saison d’un footballeur du championnat camerounais, vous allez vous rendre compte que le quota est extrêmement faible. Si vous prenez les surfaces de jeu sur lesquelles évoluent les footballeurs camerounais, vous allez vous rendre compte que ce sont des surfaces difficiles, très difficiles. Le salaire que ce soit de l’entraîneur ou du footballeur n’est pas consistant. Les conditions de vie sont suffisamment compliquées pour autoriser une performance optimale. Il y a aussi les infrastructures qui ne permettent pas une bonne élaboration du jeu.  Le joueur qui part d’Europe pour jouer en sélection a au moins ses 60 matches dans les jambes s’il est titulaire. Vous  ici au pays, vous n’avez même pas 35 matches. Il faut que les championnats professionnels soient compétitifs. Hugo Broos (le sélectionneur des Lions A) avait raison de ne pas privilégier les joueurs locaux.  Il faut travailler sur le plan local ! Les directions  techniques nationales n’ont aucun budget. Par exemple celle du Cameroun a quel budget ? Quelles sont les actions qu’elle déploie sur le terrain ? Est-ce qu’elle remplit ses missions ? Maintenant que l’Académie nationale de football est arrivée est-ce que ces deux structures ne vont pas se mordre le nez ? Quelles sont les véritables compétences ?  Est-ce que les multiples comités de normalisation peuvent faire ce travail ? Ce n’est pas possible ! Les gars ont beaucoup de valeur mais l’encadrement fait défaut. C’est pour cela que tous les joueurs sont en train de partir ! Même après ce CHAN et malgré l’élimination des Lions A’ beaucoup vont partir. Pare que les recruteurs sont là et proposent des conditions meilleures.

Propos recueillis par Pierre Arnaud Ntchapda   

                


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