Francis Ngannou : « Je promets d’apporter la ceinture de champion du monde au Cameroun »

L'équipe de la rédaction d'Africa Top Sports




« Predator » est revenu au bercail. Le champion d’arts martiaux mixtes (MMA) a rallié le Cameroun peu de temps après sa défaite dans le concours pour la conquête de la ceinture des poids lourds de l’UFC (Ultimate fighting  championship) le 20 janvier 2018 à Boston (Etats-Unis). Francis Ngannou a rencontré la presse de son pays le 2 mars 2018 dans un hôtel situé au cœur de Douala, la capitale économique. Le grand champion a confié qu’il attendait ce moment avec les siens depuis quelque temps.   Au cours de cet échange qui aura duré près d’une heure, Ngannou a émerveillé un public de journalistes frappé par l’intelligence, la détermination et les mots pleins de sagesse de l’enfant de la localité de Batié. Voici les extraits les plus intéressants de la conférence de presse.

Sur son parcours difficile

« Francis Ngannou est un jeune qui était au Cameroun il y a 6 ans. Il était « benskinneur » (conducteur de moto taxi), a déchargé les ballots au marché Mboppi (à Douala), a grandi avec un rêve ancré au fond de lui, un jeune qui a été foutu à la porte à l’école parce qu’il ne pouvait pas payer sa scolarité ou parce qu’il n’avait pas de stylo ou de cahier pour prendre ses cours et qui a gardé au fond de lui cette frustration qui lui a permis de faire grandir au fond de lui un rêve et l’envie de devenir quelqu’un, de prouver à ces élèves devant qui il a été foutu à la porte que ce n’était pas sa faute, que c’était juste les aléas de la vie. Mais c’était quand même frustrant. Francis Ngannou est ce jeune qui au milieu des amis, malgré les coups forts qu’il a reçus dans la vie s’est toujours permis de croire. Si bien qu’à 22 ans il a vendu sa moto qui lui servait de gagne-pain et avec le fruit de cette transaction s’est acheté du matériel de boxe  pour s’entraîner. Et qu’à ce moment-là personne n’a cru en lui, on le prenait pour un fou en lui citant les exemples de Joseph Bessala, Bertrand Tetsia « watabèlè » (d’anciens grands boxeurs camerounais qui ont connu une retraite difficile) et j’en passe. Mais il ne s’est pas permis de désespérer. Parce qu’il avait un rêve. Il y croyait. Le mot impossible n’existait pas dans son dictionnaire. Je conseille aux jeunes aujourd’hui d’oublier le mot « impossible ».C e n’est jamais facile. Rien ne sera facile dans la vie. Toujours est-il que ce sera possible. C’est de cette foi que je me suis inspiré. C’est ma détermination qui m’a propulsé là où je suis aujourd’hui ».

Sur les raisons de sa défaite                               

« A 31 ans, Francis Ngannou vient juste de commencer sa carrière. Rien n’est fait. Généralement dans ce sport, en 4 ans, d’autres sont encore amateurs. Francis Ngannou est allé titiller le toit du monde. Et ce n’est que le début. Je vous promets d’apporter la ceinture de champion du monde ici (au Cameroun). Et cela pour très longtemps.  Je n’ai pas pu dormir plusieurs semaines après ma dernière défaite. J’ai cherché à comprendre pourquoi je n’ai pas gagné. J’avoue que même actuellement parfois cette question me hante. Ce combat était à ma portée. Je n’ai pas perdu ce combat  pare que mon adversaire était au-dessus de moi ou que je manquais de capacités. J’avais les moyens de remporter e combat. Malheureusement j’étais un roi sans notables. Je suis arrivé à l’Ufc (Ultimate fighting championship) il y a deux ans. Mon ascension a été fulgurante. Je n’ai pas eu le temps de construire les choses. Je n’ai pas eu d’entourage, pas beaucoup de soutien. Je suis monté tout seul  et quand le vent a soufflé je suis tombé. Je suis arrivé à un niveau où je côtoie les plus forts du monde, les meilleurs de la catégorie. Ceux qui font ce sport depuis l’époque de leur enfance, depuis 20 ans, voire plus.

J’ai pris le combat pour le titre parce que c’était une opportunité. Je n’avais que 6 semaines de préparation. Je me suis dit que si je menais  le combat et que j’étais encore en forme cela pouvait se faire. C’était le genre d’opportunité qu’on ne refuse pas même si c’est à deux semaines du combat.  Je connaissais mon adversaire depuis très longtemps. Il entrait dans la liste de mes proies. La seule chose que j’avais ignoré c’est l’impact médiatique qu’il y avait autour, les sollicitations. Pour l’UFC j’étais le combattant qui devait renaître, rajeunir  et redonner une dynamique à la catégorie. Pareil pour les journalistes. Il y a eu beaucoup de sollicitations  et puisque l’Ufc voulait à tout prix promouvoir le combattant et le combat elle n’a pas trop réfléchi  sur certaines choses et ils m’ont poussé dans les médias où je n’ai pas mal assuré.  A six semaines du combat je n’avais toujours  pas une équipe constituée autour de moi. Je me suis rendu compte que j’étais un roi sans notables quand  je voyageais pour des conférences de presse. Il y eut même une semaine où j’ai eu du mal à m’entraîner 3 fois.

Je me suis rendu compte que tous ceux qui faisaient la même chose que moi avaient une équipe autour d’eux qui voyageaient avec eux à leurs frais. C’est ce que je n’avais pas  eu le temps de construire. C’est ce que je ne pouvais pas avoir à cette époque. Je ne pouvais pas avoir un coach à disposition,  un nutritionniste à disposition, deux ou trois partenaires à disposition et les prendre en charge était difficile.  Puisque j’étais encore à un niveau où me prendre moi-même en charge était difficile. Surtout que j’ai déménagé aux Etats-Unis il y a à peine un an. Mais ce n’est pas grave. Je suis  habitué aux coups durs de la vie, aux obstacles. Je me suis rendu compte que si je suis tombé plusieurs fois dans la vie c’est pare que je me suis relevé autant de fois. Francis Ngannou est celui que l’on ne doit pas renverser. Vous le renversez  10 fois il se relève 11 fois ».

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Sur sa nationalité

« Je combats pour le Cameroun. Je me suis vu quelque fois, peut-être à cause des sponsors que j’ai eus qui sont des entreprises françaises, retrouvé en train de porter le drapeau français. Mais je suis Camerounais jusqu’à preuve du contraire ».

Sur l’aide qu’il apporte aux jeunes de son pays

« J’ai commencé la boxe ici en 2008. J’ai par ailleurs grandi ici et j’ai vu les travers de la société. J’ai vu beaucoup de jeunes abandonner les salles de boxe pour se retrouver dans la délinquance. Cela parce qu’il n’y a ni suivi ni encadrement. Ils n’ont pas quelque chose sur laquelle ils pourraient s’accrocher. Ils se livrent à tout ce qu’ils trouvent. Que ce soit la drogue, la délinquance, le banditisme. Parfois, ce sont les seules choses qu’ils ont en tête, sous la main et ils ne réfléchissent pas. Quand je suis arrivé en Europe j’avais déjà ce problème puisque moi-même tout petit j’aimais la boxe et je vivais dans une localité rurale qu’on appelle Batié. Il n’y avait aucune structure  pour s’entraîner.  Si jamais un bienfaiteur venait à Batié et faisait une salle de sport cela m’aurait fait plaisir. Arrivé en France, je me suis dit : «  si le bienfaiteur n’est pas venu pour moi, je peux être le bienfaiteur  de quelqu’un ». Je me suis dit que parmi ces enfants que j’ai laissés derrière, qui ont les yeux rivés sur moi. Rien que pour ça ça vaudrait la peine d’essayer quelque chose. Parce que moi seul sais la conviction que j’avais, plus jeune, d’être champion. Ce qui fait que la première année que j’ai eu l’occasion de revenir au Cameroun  j’i apporté du matériel de boxe (gants, protège-tibias, protège-dents pour enfants, sacs de boxe). Malheureusement, je n’ai pas eu de structure, c’est-à-dire une salle aménagée. Je me suis rendu compte qu’il fallait repartir de zéro. J’ai pris du recul et au entamé un travail de fond. Pour l’instant nous avons un projet d’association. C’est pour moi une façon de leur permettre comme moi, de rêver ».

Sur son voyage clandestin vers l’Europe

« Je suis parti de Douala tout seul pour Yaoundé. Là-bas j’ai pris le train pour le Nord. A partir de là j’ai  rencontré des gens. Il y avait des passeurs qui connaissaient l’itinéraire et qui nous dirigeaient. C’est là où j’ai commencé à rencontrer des jeunes qui étaient Camerounais comme moi. On s’est rencontrés à Kano au Nigeria pour aller à Yola. Nous avons  traversé le Niger. C’est là où l’aventure a commencé la traversée du désert qui heureusement pour nous s’est bien passée. Nous sommes arrivés en Algérie où le mauvais film a commencé. C’est là où je me suis rendu compte que j’avais emprunté un train sans connaître sa destination. C’est un chemin qui est difficile et si à partir d’un moment tu veux faire marche arrière tu ne peux plus. C’est pourquoi certains jeunes aujourd’hui, même en Libye malgré les conditions qu’ils vivent ne peuvent pas revenir. Je les comprends. J’ai été  dans cette situation j’ai mis ma vie en danger. Je n’arrive pas à croire que j’ai fait certaines choses.  C’était difficile. On a fouillé dans les poubelles, dormi dans les champs ».

Propos retranscrits par Pierre Arnaud Ntchapda


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