Cameroun-Boxe: Bika Sakio « Je suis un boxeur qui n’a jamais perdu par KO »

L'équipe de la rédaction d'Africa Top Sports




Sakio Bika. Le double champion du monde de boxe est de passage au Cameroun, son pays natal. Dans la ville de Douala qui l’a vu naître, il est un inconnu total pour les autres, malgré ses prouesses dans le noble art et la reconnaissance mondiale de ses pairs.

Qui est Bika Sakio ?

Je suis Camerounais, et je crois que tout le monde le sait. Je suis né le 18 avril 1979 au Cameroun à Douala. J’ai grandi au quartier Yabassi. J’ai commencé la boxe étant très jeune à l’âge de 13 ans, une discipline sportive que j’adore.

De 13 ans à aujourd’hui 40 ans, il y a eu tellement de combats. Et comme ça fait mal de prendre des coups, il y’en a certainement que vous n’avez pas oubliés. Des défaites, mais les victoires surtout. Non ?

On n’oublie pas les victoires, surtout les plus éclatantes d’une carrière. Je suis deux fois champion du monde, mais cela n’a pas commencé par là. Je vais essayer de me rappeler tout ce que j’ai gagné sur mon parcours. Champion provincial (à cette époque, le Cameroun était divisé en provinces, pas en régions), champion du Cameroun, champion d’Afrique Centrale, champion d’Afrique, champion du Contender (une compétition mondiale organisée par Sugar Rey Leonard et Sylvester Stallone), champion du monde à deux reprises, champion de la MBA aux Etats Unis, je suis un boxeur plus connu dans les grands pays de boxe, mais pas autant au Cameroun. En Angleterre, au Canada, aux USA, en Australie, au Mexique et même au Japon,  je ne peux pas passer inaperçu comme dans mon pays le Cameroun. Certains Camerounais connaissent ce nom-là, mais selon la prononciation qui est faite par les commentateurs lors de mes combats, ils sont nombreux à ne pas pouvoir imaginer que je suis leur compatriote. Il faut encore aller chercher dans les moteurs de recherche sur internet. Mais moi je dois dire que je suis fier de moi, fier de mon pays le Cameroun. Et j’espère que le Cameroun est fier aussi de ce que j’ai réalisé.

Votre titre de champion d’Afrique est celui qui nous intéresse le plus. Comment l’êtes-vous devenu ?

J’ai gagné mon titre de champion d’Afrique en Egypte, et c’est à ce titre que j’ai été qualifié pour les Jeux Olympiques  (JO) de Sydney en Australie. Le règlement prévoyait que deux boxeurs Africains de chaque catégorie devaient se qualifier pour les JO de Sydney 2000. Avant la finale, j’avais un boxeur d’Afrique du nord en face de moi. Il était comme à domicile. J’ai du mal à ne pas croire que c’était même un fils du pays. Il avait tout pour lui, les faveurs du public et des arbitres. Je me rappelle bien de ce qu’une journaliste Camerounaise est venue me dire. C’était Madeleine Soppi Kotto qui est venu me dire : « Sakio, tu peux, et je sais que tu le feras ». Des mots qui m’ont accompagné sur le ring pendant tout le combat. Elle était d’abord un des journalistes accrédités, mais aussi supporter de la team Cameroon. Nous étions 12 boxeurs, et j’étais l’espoir de mon pays. J’ai gagné ce combat aux points, et je savais déjà que j’avais mon ticket pour les JO de Sydney 2000. La finale  face à un Guinéen n’était plus qu’un jeu pour moi, et j’ai remporté la médaille d’or.

Vous voilà  à Sydney, aux JO de 2000. Vous perdez sur le ring, mais vous n’acceptez pas votre défaite. Pourquoi ?

Jusqu’aujourd’hui, je n’ai jamais accepté ma défaite du seul combat que j’ai livré aux JO. Les dirigeants Camerounais de l’époque ont protesté au travers d’une requête, mais rien n’y a fait. Aux JO les « petits pays » n’ont pas tellement de chances. Mais cette défaite-là ne m’a pas empêché de continuer dans ce que j’avais pensé, devenir un boxeur professionnel.

Vous décidez de prendre votre destin en mains, avec ce qu’on a qualifié de la fugue bénéfique. Vous pouvez comprendre ceux qui n’étaient pas d’accord avec votre fugue ?

Quand tu as déjà tout gagné derrière toi, tous ces titres depuis ta ville de naissance jusqu’à l’ensemble du continent, il ne te reste plus qu’à aller chercher mieux ailleurs. Les JO, c’est le plafond pour un amateur.  Et malgré la rage de la défaite que l’arbitrage m’a collée alors que j’avais l’espoir d’une médaille olympique, il fallait partir. Les prochains JO, c’est quatre ans après, et difficile d’attendre. J’ai pris mon destin en mains. Aujourd’hui, je ne regrette pas, je suis deux fois champion du monde. La question doit être posée aux Camerounais maintenant, pas plus à moi. Cette fugue était-elle bénéfique ? Chacun donnera une réponse. Mais pour moi, je suis parti pour continuer le travail, je ne suis pas parti en balade, je n’ai pas changé de métier, j’avais une vision, et voici l’aboutissement.

Combien de temps avez-vous passé à l’entrainement pour votre premier combat professionnel ?

Cela m’a pris entre un et deux ans. Dans un pays tout neuf, les débuts sont tellement difficiles. Il y a plusieurs facteurs comme la langue de communication. Il faut apprendre à comprendre rapidement l’anglais de ton entraineur, et de ton staff. Quand c’est difficile, il faut se battre, et c’est ce qu’un boxeur sait faire de mieux. Je me suis battu au propre comme au figuré ; et les fruits sont là.

Un promoteur décide de vous garder en Australie. C’est qui cet homme qui a cru en vous ?

Celui qui me garde en Australie est un ancien champion de boxe. Deux fois champion du monde dans deux catégories différentes. Il s’appelle Jeff Nix. Il m’a dit qu’il a vu le potentiel, et m’a promis d’arriver là où je suis aujourd’hui. Cela n’a pas été facile. Au début, tu ne vas pas aller chercher le championnat du monde non plus. Tu commences avec les combats de quatre rounds, puis six, puis huit, dix et douze.

Il y a un combat intérieur en chaque boxeur, celui de garder sa catégorie. Depuis votre arrivée à Sydney il y a 19 ans avez-vous changé de catégorie ?

Pour être champion d’Afrique, j’étais dans les 72 kilos. Aujourd’hui, 19 ans plus tard, je suis le même. Les personnes qui ne connaissent pas la boxe et qui la regardent à distance peuvent se dire : c’est un sport brutal, pour les indisciplinés. C’est tout le contraire. Il faut une discipline d’enfer pour rester boxeur professionnel. Ceux qui me reconnaissent dans la rue me posent la même question : tu ne changes pas ? Et ils me font remarquer que je suis resté le même. C’est cela la discipline dans la boxe. J’ai tout gagné en Afrique dans les 72 kilos et quand je me suis installé en Australie, j’ai fait mes classes en professionnels dans cette même catégorie. Champion d’Australie des 72 kilos, j’ai défendu mon titre quatre fois dans la même catégorie, j’ai fait même un combat intercontinental dans les 72 kilos. Après, j’ai changé pour aller dans la catégorie des 76 kilos, et c’est là où j’ai été deux fois champion du monde.

De tous vos titres, il y a un qui a fait exploser tous les compteurs, c’est le titre de champion du monde de Contender en 2007. Pouvez-vous nous en parler ?

C’est une compétition de boxe en télé-réalité. Les organisateurs  Sugar Ray Leonard et Sylvester Stallone sélectionnent les boxeurs dans le monde, plus de 200 boxeurs de poids moyens. Ils sont  soumis à plusieurs  tests d’évaluation : l’athlétisme spécifique à la boxe en mesurant la puissance de frappe, l’endurance et la vitesse, entre autres tests. A la fin de ces multiples tests, vous êtes 16 à loger dans un même appartement, avec des caméras qui filment chacun de vos gestes. Vous avez les mêmes entrainements, la même nourriture, les mêmes épreuves, et tout est diffusé à la télévision. Vous vivez en famille avec 15 autres boxeurs aussi puissants que vous, puis on va éliminer au fur et à mesure les uns et il y a deux finalistes. Lors de la finale, bien que ce soit en direct, toutes les grandes figures mondiales de la boxe  encore vivantes sont invitées à venir assister. Si tu n’es pas fort psychologiquement, tu perds tes couilles. Pour moi, sortir du Cameroun et arriver déjà à être parmi les 16 derniers concurrents du Contender, c’était énorme. Mais je suis allé au-delà et j’ai remporté la victoire finale (il gagne l’Américain Jaidon Codrington et empoche 75000 dollars US, ndlr). Mon adversaire était le favori, et nous étions aux USA. Il fallait que je l’arrête avant la fin, sinon ce serait difficile de gagner aux points. Je l’ai stoppé au 8ème round par un KO.

On peut donc dire que depuis 2007, vous n’êtes plus un inconnu du noble art après cette victoire au Contender ?

Oui, parce que c’est une télé-réalité, des combats très rudes qui passaient en direct dans le monde entier. C’est à partir de là que ma vrai carrière professionnelle a explosé.

Avec tout ceci, comment arrivez-vous à passer inaperçu au Cameroun ?

Le Cameroun est un pays de footballeurs, tout le monde le sait. Et je respecte les grands footballeurs Camerounais qui nous ont ouvert les portes de la gloire. Je dois rappeler que tout jeune Camerounais rêve d’abord de devenir footballeur, et c’est grâce aux exploits de nos aînés. Moi aussi je suis passé par là, mais j’ai rapidement opté pour la boxe pour faire la différence. Maintenant, ce n’est pas de la faute des boxeurs s’ils ne sont pas connus. C’est peut-être la faute des autorités, ou de la presse que vous représentez. Ce n’est pas à moi d’aller dans les médias dire qui je suis, me voilà qui vous ai accordé un entretien. Maintenant, si vous aussi avez fait votre travail, ce ne sera pas votre faute si certains ne lisent pas vos écrits. Nous avons pourtant plusieurs boxeurs qui sont devenus champions du monde dans leurs catégories, alors qu’ils sont partis du néant. J’ai un respect énorme pour l’ambassadeur Itinérant S.E. Albert Roger Milla, et pour des footballeurs comme Samuel Eto’o Fils, Gérémi Njitap et autres Patrick Mboma. Ces grands footballeurs là connaissent Mike Tyson, Sugar Ray Leonard, Royjohn Junior, tous ces grands noms de la boxe mondiale, mais ce sont ces grands champions que vous connaissez qui parlent de Sakio Bika en des termes de respect. Aux USA, quand on parle des grands boxeurs qui ont marqué leur époque, on parle de Sakio Bika. Ils ne sont pas nombreux, les  boxeurs de ma catégorie qui peuvent demander à me challenger. Ils savent que Sakio Bika est une machine. Il faut mouiller le maillot en face de moi. Il y aura peut-être un autre Africain ou un Camerounais qui viendra relever le défi, ce que je souhaite, mais j’ai placé la barre bien haute.

Vous êtes au Cameroun pour des vacances ?

Vous savez que partout où nous sportifs Africains allons dans le monde, nous pensons aux arrières. Je suis venu au Cameroun pour rencontrer la famille, mais aussi faire une étude pour l’installation d’un grand gymnase ici au Cameroun. Si tout se passe bien, dans deux ans, je vais construire un grand gymnase pour aider les jeunes sportifs. Je dois rappeler que j’ai déjà créé une marque de sport. SB, (comme les Initiales de son nom Sakio Bika). Une marque qui marche déjà bien aux Etats Unis et en Australie, mais peu connue au Cameroun. Dans le business, je ne vais pas très vite, mais il y a déjà ce qu’il faut pour la boxe. Cette marque SB est opérationnelle depuis sept ans.

La boxe au Cameroun, quel est le regard de Sakio Bika ?

Les jeunes générations souffrent. Il faut faire quelque chose pour les aider. Ce n’est pas forcément de l’argent, mais il faut du matériel et des dirigeants qui aiment la discipline. Une salle seulement à Douala et une à Yaoundé, ce n’est pas suffisant. Il faut créer des salles et les fournir en matériel pour que les enfants s’entrainent, c’est la seule chance d’avoir d’autres champions en boxe. On aura peut-être certains qui feront mieux que Bessala, Ndongo Ebanga, et mieux que Sakio Bika.

Quelles sont tes relations avec les autres Camerounais champions du monde de boxe ?

Je connais Ndam Njikam, c’est un petit que je respecte, qui s’est imposé.  Il y a Ngoudjo Herman qui est aussi un petit frère que je respecte en sa qualité de très grand boxeur, il y a Takam, il y a même des anciens qui n’étaient pas champions du monde, mais qui méritent beaucoup de respect. Il faut vraiment faire quelque chose pour les nouvelles générations où on trouve beaucoup de talents. Parce que bientôt, nous tous serons à la retraite.

Parlant justement de retraite, à 40 ans, on pense beaucoup à elle si on n’a pas encore arrêté non ?

Un boxeur peut prendre sa retraite à 25 ans, un autre à 35 ans, un autre comme moi qui pense la prendre à 45 ans. La date de départ dépend de comment tu manages ton corps. C’est une affaire de discipline et de professionnalisme. Si tu ne sais pas gérer ton corps, tu peux finir rapidement. Mais si tu sais manager, tu peux faire une longue carrière.

C’est quoi l’actualité de Sakio Bika, à quand le prochain combat ?

Je devais faire un combat aux USA le 24 mars 2019 à New York City, mais j’ai eu un bobo aux entrainements à moins d’une semaine. Le combat a été annulé et il sera reprogrammé. J’ai profité de ce repos imposé par mon bobo pour venir visiter la famille et le pays.

A 40 ans vous n’avez pas mauvaise mine, encore moins un autre portrait. Et pourtant, que de coups encaissés…

Certains diront que c’est de la chance, mais je n’aime pas trop mettre le mot chance devant. Je suis un cogneur, et un encaisseur. J’ai déjà encaissé beaucoup de coups, mais j’en ai donné des tonnes aussi. Quand vous frappez fort, les coups des autres ne vous marquent pas trop. J’ai peut-être les cardes,  certains ont les faces un peu fragiles, et qui peuvent prendre la retraite à 25 ans et quand tu les regardes, tu as l’impression qu’ils sont très vieux. Moi, je n’ai pas encore subit d’opérations pour réparer un dommage sur mon visage, contrairement à plusieurs qui le font tout le temps.

Avez-vous déjà fondé votre famille ?

Oui, je suis marié à une Australienne, et nous avons trois enfants. Deux garçons et une fille. L’aîné aura 14 ans en septembre.

Il sera boxeur comme son père ?

En ce qui concerne le choix de la discipline sportive, il faut laisser chacun faire son choix. Nous les sportifs, nous devons juste encadrer l’enfant à pratiquer le sport et lui donner la chance de choisir. Le premier est footballeur, le deuxième est basketteur et la dernière fait un peu d’athlétisme. Si après à 18 ans il décide de devenir boxeur comme son père, je serai content, mais je lui dirai qu’il y a un travail fou et beaucoup de risques.

Entretien mené par David Eyenguè

Fiche technique

Sakio Bika, né le 18 avril 1979 à Douala

Champion du monde des Super-moyens (76 kgs)  IBO du 13 novembre 2008 au 17 juin 2010

Champion du monde des super-moyens (76 kgs) WBC du 22 juin 2013 au 16 août 2014

Champion du Contender saison 3 en 2007.

44 combats professionnels, 34 victoires dont 22 par KO,  3 nuls  et 7 défaites (6 par décisions des arbitres et une par disqualification).


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