Mbappé, Real Madrid, et l’impact des préparations intensives : Analyse avec Redouane Mansour



Dans cette seconde partie d’interview captivante, Redouane Mansour, préparateur physique à Istres (N2), partage son expertise sur la prévention des blessures et l’optimisation des performances. À travers des exemples concrets, il revient sur l’importance de programmes individualisés, les défis d’un calendrier surchargé, et l’équilibre délicat entre intensité et récupération. Il livre également son regard éclairé sur des cas emblématiques, comme celui de Kylian Mbappé, et aborde les spécificités de la préparation physique au plus haut niveau. Un éclairage précieux sur un métier exigeant et déterminant dans le football moderne.

 

Première partie => Redouane Mansour (Istres/N2) : « J’ai l’impression que l’identité du football commence à se perdre. »

 

ATS – Proposez-vous des séances individuelles et des entraînements spécifiques adaptés à chaque joueur, en complément des entraînements collectifs ?

Redouane Mansour – Chaque joueur bénéficie d’un programme individuel de prévention et de développement musculaire. Je fais un suivi rigoureux du temps de jeu, dès les matchs de préparation, et je surveille également les différentes pathologies auxquelles les joueurs peuvent être confrontés.

Pour un club de N2, je trouve que ce que nous proposons est vraiment pertinent. En tant que responsable de la performance au sein du club, je mets un point d’honneur à sensibiliser les joueurs. Dans le vestiaire, j’affiche de nombreuses fiches explicatives sur le fonctionnement du corps humain et sur les pathologies susceptibles de les toucher.

Ce programme est conçu pour activer et prévenir, dans le but de réduire au maximum le risque de blessure. Bien sûr, les blessures peuvent toujours survenir, mais en appliquant cette méthodologie, j’espère les minimiser autant que possible. Jusqu’à présent, cela fonctionne très bien pour moi, et cela a été le cas dans tous les clubs où j’ai travaillé. C’est pourquoi je continue de suivre cette approche, qui a fait ses preuves.

 

« C’est typique d’un profil comme

celui de Mbappé »

 

ATS – Mbappé s’est blessé lors du match de Ligue des champions face à l’Atalanta. Selon vous, le préparateur physique est-il en partie responsable, ou les critiques à son encontre sont-elles excessives ?

Oui, j’ai eu l’information. Il me semble que c’est une blessure aux ischio-jambiers… C’est typique d’un profil comme celui de Mbappé, sujet à ce type de blessures.

Dans le monde professionnel, il existe souvent une certaine prudence quand il s’agit de développer les capacités d’un joueur. À ce niveau, on considère généralement que le joueur a déjà atteint une « plénitude de ses capacités », du moins en théorie.

 

ATS – Est-ce dû à une mauvaise préparation physique, selon vous, ou y-a-t’il d’autres points à prendre en compte  ? 

Il est difficile de juger le travail d’un préparateur physique, surtout quand il s’agit de quelqu’un comme Pintus, qui a une solide réputation dans ce domaine. Je ne suis pas du genre à critiquer, mais j’ai observé et analysé la situation. À ce niveau, les joueurs enchaînent un nombre impressionnant de matchs. Leur calendrier est surchargé : ils jouent presque tous les trois ou quatre jours, avec des enchaînements week-end et Ligue des champions en semaine, ce qui leur laisse parfois seulement 48 heures de récupération.

Pour un préparateur physique, quantifier la charge de travail dans de telles conditions est un vrai défi. Pintus, dans son rôle, cherche surtout à maintenir un bon niveau de forme physique tout en évitant d’épuiser les joueurs ou de provoquer des blessures.

En plus de cela, il faut composer avec la pression médiatique et les enjeux financiers, qui sont omniprésents à ce niveau. À mon échelle, je n’ai pas à gérer ces aspects, ce qui réduit une part de stress dans mon travail. Cependant, dans le football professionnel, les préparateurs peuvent se montrer beaucoup plus créatifs pour optimiser la préparation musculaire et athlétique des joueurs. Contrairement au niveau amateur, où il y a moins de réticence, le haut niveau est souvent plus prudent lorsqu’il s’agit de développer les capacités physiques des joueurs. Pourtant, une mobilisation intelligente et progressive du corps humain peut contribuer à réduire considérablement les risques de blessure.

Pour un joueur comme Mbappé, qui est naturellement rapide, le risque de blessure aux ischio-jambiers est élevé. La vraie question est de savoir à quel moment combler ces déficits, sachant qu’il joue quasiment tous les trois jours.

 

« Des joueurs font tout ce qu’il faut,

mais se blessent »

 

ATS – Les blessures peuvent-elles être causées par la fatigue ou une baisse de moral selon vous ?

Parfois, des joueurs font tout ce qu’il faut, mais se blessent malgré tout. Cela peut être lié à de nombreux facteurs : l’anxiété, le stress, un manque de sommeil, une alimentation déséquilibrée, ou encore des substances néfastes pour le corps, comme l’alcool ou la cigarette. Même les snoozes, ces sachets de nicotine que beaucoup utilisent, peuvent avoir un effet négatif, car la nicotine peut provoquer des inflammations.

Il existe une multitude de facteurs à considérer, et chacun peut contribuer à un risque de blessure. Cela peut inclure un surentraînement, un sous-entraînement ou encore un excès de travail en salle. C’est pourquoi il est impossible de se concentrer uniquement sur la préparation physique pour expliquer ou prévenir les blessures.

 

« Les joueurs peuvent atteindre leurs

limites physiques. »

 

ATS – On m’a rapporté que le Real Madrid aurait opté pour une préparation intensive en début de saison, ce qui pourrait expliquer leur démarrage difficile (actuellement 20ᵉ en phase de Ligue des champions, ndlr). Cette stratégie viserait à atteindre un pic de performance en fin de saison. Partagez-vous cette analyse ?

Je n’ai pas vraiment analysé en détail ce que Pintus a fait cette saison. Sa méthodologie reste assez constante d’une année à l’autre, et cela a très bien fonctionné par le passé. Cependant, il est possible que le poids des années commence à se faire sentir, notamment cette saison. L’effectif du Real Madrid n’a, il me semble, pas beaucoup évolué, ce qui peut aussi jouer un rôle.

Les joueurs du Real sont habitués à un haut niveau d’exigence grâce au travail de Pintus. Mais peut-être faudrait-il également examiner le nombre de matchs joués avec le même onze de départ aligné par Ancelotti. À force d’enchaîner les rencontres, les joueurs peuvent atteindre leurs limites physiques.

Dans ce contexte, il aurait peut-être été utile d’adapter les charges de travail en fonction des joueurs. Prenons l’exemple de Vinicius, qui se blesse alors qu’il accomplit un énorme volume de travail, ou de Camavinga, connu pour être très rigoureux dans ses entraînements. Ces blessures interrogent : est-ce lié à une surcharge ?

Cela dit, ce n’est pas nécessairement la faute de Pintus. C’est un peu comme une voiture : si tu l’utilises intensivement jusqu’à 400 000 km, elle finira par te lâcher. Le corps des joueurs fonctionne de la même manière, surtout à ce niveau d’intensité.

 

« Dès qu’il y a une série de blessures, c’est automatiquement

la faute du préparateur physique. »

 

ATS – Lors de leur phase de préparation aux États-Unis, le Real Madrid a affronté l’AC Milan, le Barça et Chelsea. Récemment, Pintus a été critiqué pour les nombreuses blessures des joueurs madrilènes en novembre. Pensez-vous qu’il porte une part de responsabilité dans cette situation ?

Oui, j’ai lu l’article. Comme je l’ai déjà dit, je ne sais pas précisément ce que Pintus a mis en place. Malheureusement, beaucoup de gens, confortablement installés chez eux, jugent rapidement : dès qu’il y a une série de blessures, c’est automatiquement la faute du préparateur physique.

Le préparateur physique est souvent le premier à être pointé du doigt. Pourtant, on ne sait pas ce qui se passe réellement en interne. Il est facile de tirer des conclusions sans connaître les détails ou les contextes spécifiques.

 

« Pintus, pour sa part, pousse les joueurs à un niveau

d’exigence et d’intensité maximal »

 

ATS – Peut-on réellement savoir si les joueurs adoptent une alimentation équilibrée, bénéficient d’un sommeil de qualité et maintiennent un bon état mental ?

Je pense qu’à ce niveau-là, au Real Madrid, les joueurs sont bien encadrés sur des aspects comme le sommeil et l’alimentation. Le suivi est certainement méticuleux, avec des psychologues, des médecins et un staff complet. Tout est fait pour accompagner les joueurs de manière optimale.

Pintus, pour sa part, pousse les joueurs à un niveau d’exigence et d’intensité maximal, les préparant à donner le meilleur d’eux-mêmes. Il les emmène à 200% à l’entraînement, alors qu’un match demande environ 120%. L’idée est de travailler à une intensité supérieure, de manière à ce que les joueurs soient capables de maintenir un haut niveau en match. Cependant, ce travail intense laisse des traces dans les jambes, et avec l’enchaînement des matchs et des efforts à haute intensité, les blessures peuvent survenir.

Regarde par exemple le match Marseille-Monaco. J’étais au stade, tout comme toi, et on a vu la même chose : des courses à haute intensité tout au long de la rencontre. Ce sont ces efforts intenses qui distinguent le football professionnel du football amateur.

Un joueur amateur peut parcourir 11 ou 12 km par match, ce qui est comparable à un professionnel en termes de distance. Mais là où la différence se fait, c’est dans la production d’efforts à haute intensité. Ce que produit un joueur professionnel est bien au-delà de ce qu’un amateur peut réaliser, et c’est là que réside une grande part de l’écart de niveau.

Bien sûr, d’autres aspects entrent en jeu, comme la technique et la tactique, mais en matière de performance physique, l’impact de ces différences est indéniable.

 

ATS – Pensez-vous que le Real Madrid, malgré ses neuf blessés depuis le début de la saison dont celle de Mbappé, peut monter en puissance en fin de saison ? À l’inverse, certains clubs risquent-ils, selon vous, de voir leurs performances et résultats décliner ?

Cela dépend. Certains clubs augmentent rapidement leur niveau d’exigence en termes de performance, mais cela peut entraîner un contre-coup. Peut-être que le Real Madrid traverse actuellement une phase de baisse de régime, et qu’à partir de janvier, ils retrouveront un regain d’énergie pour aller jusqu’à remporter la Ligue des champions.

Peut-être que Pintus a une stratégie bien définie dans sa planification de performance. Il pourrait se dire : « Je sais qu’en novembre et décembre, mes joueurs seront à un niveau un peu plus bas, que ce sera une période compliquée. Mais en janvier, je vais réinjecter du travail et de l’intensité, et je sais qu’ils seront au top jusqu’à la fin de la saison. Nous serons champions et nous gagnerons la Ligue des champions. »

 

« Il est possible que, par rapport à sa morphologie,

il ait déjà atteint une plénitude musculaire »

 

ATS – J’ai lu que Cole Palmer, doté d’une musculature très fine, bénéficierait d’une stratégie délibérée de Chelsea visant à limiter son développement musculaire pour préserver son style de jeu. Aviez-vous entendu parler de cette approche ?

Je n’en avais pas entendu parler, merci pour l’information. Cela dit, pour des profils comme celui que tu évoques, le joueur peut ne pas présenter un gain musculaire évident ou une force physique apparente. Cependant, il est possible que, par rapport à sa morphologie, il ait déjà atteint une plénitude musculaire et n’ait pas besoin de développer davantage sa masse musculaire, car il est pleinement opérationnel. Alors, pourquoi chercher à le surdévelopper ?

Cela dit, on peut tout de même renforcer certains aspects pour qu’il soit plus performant dans les duels, réduise le risque de blessures et améliore sa capacité de récupération. C’est là qu’intervient l’importance d’un travail individualisé, car chaque joueur est unique : morphologie, capacités, qualités naturelles… tout cela varie d’un individu à l’autre.

L’objectif est alors de s’assurer que le joueur dispose de la structure physique adéquate pour performer. Si c’est le cas, je m’attache à maintenir cet équilibre tout en ajoutant des ajustements ciblés pour optimiser et préserver son niveau de performance.

 

« Le développement musculaire ne se résume

pas à une question d’apparence »

 

ATS – Quand on observe des joueurs comme Hulk ou Adama Traoré, qui ont bâti une grande partie de leur style de jeu sur leur musculature impressionnante, diriez-vous qu’ils représentent un profil de joueur unique dans le football moderne ?

Il est essentiel de comprendre les attentes et les objectifs de chaque club, sans interpréter leurs directives de manière simpliste. Par exemple, dans le cas de Chelsea, ils ont indiqué qu’il n’était pas nécessaire de trop muscler Cole Palmer. Cela ne signifie pas qu’ils rejettent cette approche sans raison : ils s’appuient sur des données et des analyses concrètes pour prendre ce type de décision.

N’importe qui peut prendre ou perdre du poids avec le bon programme. Adama Traoré est un excellent exemple : à ses débuts à la Masia, il avait un physique similaire à Palmer, mais son évolution a été marquée par des changements métaboliques et un travail physique intensif. Son développement musculaire résulte d’un mélange d’entraînement spécifique et d’un apport nutritionnel adapté.

Développer un muscle, c’est avant tout le stimuler. C’est un processus progressif : on commence par appliquer une charge, puis, à mesure que cette charge devient facile à gérer, on l’augmente. Pour que le muscle se développe, il a besoin d’une combinaison de stimulation, de nutriments, et de repos. Les macro-nutriments – protéines, lipides, glucides – jouent un rôle central dans ce processus, en apportant l’énergie et les éléments nécessaires pour alimenter la croissance musculaire et réguler la prise ou la perte de poids.

J’ai déjà travaillé avec des joueurs très fins, et, malgré leur apparence, ils avaient des performances en termes de force supérieures à celles de joueurs plus massifs. Cela montre que le développement musculaire ne se résume pas à une question d’apparence, mais repose sur une approche globale qui prend en compte les besoins spécifiques de chaque athlète.

 

« Le football actuel est bien plus

dynamique qu’autrefois »

 

ATS – Au sein du club, accordez-vous une importance particulière au développement musculaire des joueurs, ou considérez-vous cela comme un aspect secondaire dans votre méthode d’entraînement ?

La préparation physique repose sur une programmation ondulatoire, qui vise à développer les capacités du joueur. Les muscles jouent un rôle essentiel dans la performance. Sans une bonne condition musculaire, un joueur risque davantage de blessures, fatigue plus rapidement et peine à répéter les efforts, ce qui est indispensable dans un sport comme le football, où l’intensité et la répétition des actions sont clés.

Aujourd’hui, on attend des joueurs une grande polyvalence, qu’ils soient défenseurs, milieux ou attaquants. Ce n’était pas le cas autrefois, où les rôles étaient bien plus figés. Par exemple, un défenseur restait dans sa zone sans trop s’aventurer. Désormais, même les défenseurs centraux participent au jeu offensif, dézonent, ou jouent des rôles variés comme latéral ou piston.

On exige maintenant d’un joueur qu’il puisse occuper trois ou quatre postes différents et qu’il ait les capacités athlétiques pour le faire. Prenons l’exemple de Valentin Rongier à l’OM : il était milieu de terrain, mais on l’a vu évoluer en tant que latéral droit ou même défenseur central. C’est un joueur très polyvalent, un modèle de ce qu’on demande aujourd’hui dans le football moderne.

Le football actuel est bien plus dynamique qu’autrefois. Les déplacements sont constants, et les rôles sur le terrain sont plus fluides. À l’époque, chaque joueur avait un poste bien défini : « Lui joue numéro 10, lui joue numéro 5 ». Aujourd’hui, le jeu a évolué vers une approche plus flexible et mobile, où chaque joueur doit être capable de s’adapter.

 

« Ce n’est pas un métier fait pour tout le monde »

 

ATS – Dans votre club, la préparation physique est-elle associée à une préparation mentale ? Avez-vous déjà expérimenté ce type d’approche ?

Oui, j’ai déjà travaillé avec des préparateurs mentaux. Cependant, dans notre club à Istres, nous jouons indirectement ce rôle-là. En tant que préparateur physique, j’ai une relation différente avec les joueurs par rapport au coach. Certains se confient à moi sur des sujets qu’ils n’aborderont pas avec lui. Cela exige de ma part une approche adaptée, une bonne communication et une formulation appropriée dans mes échanges.

Être préparateur physique dans un club de football ne se limite pas à organiser des ateliers ou à améliorer la performance. C’est un métier qui requiert une posture réfléchie, une capacité d’élocution claire, une communication efficace et une véritable compréhension des joueurs. Ce n’est pas un métier fait pour tout le monde, car il est extrêmement exigeant, aussi bien sur le plan physique que mental.

Quand je rentre chez moi, le travail continue. Il faut élaborer les programmes, suivre les données GPS, analyser les performances, communiquer sur les blessures, et surveiller le temps de jeu. Par exemple, les dimanches après un match, je ne sors pas. Je suis devant mes vidéos, en train de travailler. C’est un engagement quotidien. Si tu n’es pas passionné, tu ne tiendras pas sur la durée.

Dans un effectif restreint, les joueurs jouent régulièrement, avec peu de rotation. Cela pousse à se demander : « Comment éviter les blessures tout en maintenant les performances ? ». Depuis le début de la saison en juillet, entre les matchs amicaux, le championnat et le parcours jusqu’au 8ᵉ tour de la Coupe de France (perdu contre Grenoble, une équipe de Ligue 2), nous n’avons eu aucun week-end de libre.

Il faut également gérer les conditions de jeu : terrains secs, gras, synthétiques, et même le choix des crampons, qui peut avoir un impact sur le risque de blessure. Certains joueurs, peu habitués aux crampons vissés, peuvent se blesser en les utilisant. Cela m’est déjà arrivé avec un joueur qui, après avoir changé de crampons, s’est blessé. Chaque détail compte et influence la préparation.

 

Photo : DR


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Dounia MESLI
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