Redouane Mansour (Istres/N2) : « J’ai l’impression que l’identité du football commence à se perdre. »



À Istres (N2), Redouane Mansour (tout juste 36 ans, ndlr) s’impose comme une référence incontournable dans le domaine de la préparation physique. Passionné et rigoureux, il accompagne sportifs amateurs et professionnels dans l’atteinte de leurs objectifs grâce à des méthodes d’entraînement innovantes et personnalisées. Son approche holistique, combinant sciences du sport et motivation mentale, fait de lui un allié précieux pour tous ceux qui aspirent à repousser leurs limites. Découvrez le parcours inspirant de cet expert au service de l’excellence sportive dans la première partie de cette interview.

 

Deuxième partie => Mbappé, Real Madrid, et l’impact des préparations intensives : Analyse avec Redouane Mansour

 

Africa Top Sports – Comment vivez-vous votre début de saison dans le Sud ? Gardez-vous le moral malgré l’éloignement de votre région d’origine ?

Redouane Mansour – Oui, tout se passe très bien. J’ai gagné la confiance des gens en leur prouvant qu’ils pouvaient compter sur moi. L’humain, tant qu’il n’a pas de preuves concrètes, ne te montre pas tout ce qu’il est prêt à faire pour toi.

Grâce à mon travail, mon sérieux et l’image que je projette, les gens voient que je suis préparé et professionnel. Cela crée une dynamique positive et renforce la confiance mutuelle.

 

ATS – Avez-vous déjà pratiqué le football, ce qui pourrait vous offrir une meilleure compréhension du jeu et de ses réalités sur le terrain ?

J’ai joué au football à un niveau amateur, notamment en Régional 1. J’ai arrêté ma carrière à 20 ans pour me consacrer pleinement à mes études. C’est à l’âge de 21 ou 22 ans que j’ai débuté ma carrière dans la préparation physique.

 

ATS – Avez-vous déjà envisagé de poursuivre une carrière sur le terrain en tant que joueur ?

Non, parce que je savais que je n’en avais pas les capacités, et j’étais honnête envers moi-même. Je m’entraînais seul, je travaillais ma technique sans aucune préparation spécifique. À l’époque, à mon âge, il n’y avait pas autant de préparation physique qu’aujourd’hui.

Chez moi, j’utilisais un mur comme partenaire d’entraînement. Ma mère me disait souvent : « Arrête de salir mon mur », car il était couvert de traces de ballon. Je m’amusais à tirer dessus, à contrôler le ballon, à enchaîner des frappes. Dès l’âge de 12 ou 13 ans, je me fixais des objectifs exigeants : « Aujourd’hui, je vais faire 200 jongles du pied gauche » ou « 50 jongles alternées ».

Je me souviens de la première fois où j’ai essayé de jongler du pied gauche : j’avais l’impression de ne pas avoir de pied gauche ! Mais à force d’entraînement, encore et encore, je progressais. Pourtant, il arrive un moment où tu te rends compte que, malgré tous tes efforts, tu n’atteindras pas le niveau souhaité. Alors, tu fais le choix de te concentrer sur autre chose.

 

« Je privilégie une méthodologie de travail

un peu ‘à l’ancienne’ » 

 

ATS – Le métier de préparateur physique a-t-il évolué au fil des années, selon vous ?

Avec le temps, les pratiques ont forcément évolué. Certaines méthodologies de travail perdurent, tandis que de nouvelles technologies font leur apparition. Cela oblige les préparateurs physiques à se former pour comprendre et maîtriser ces innovations avant de les intégrer dans leur pratique.

Ce qui est intéressant dans ta question, c’est que, pour ma part, j’utilise ces outils uniquement lorsque je suis formé à leur usage. Cependant, je pense qu’un bon préparateur physique doit rester simple dans la conception de ses séances d’entraînement. Il n’a pas besoin d’une quantité astronomique de données pour évaluer ou améliorer les performances de son équipe.

Personnellement, je privilégie une méthodologie de travail un peu « à l’ancienne », car elle a souvent fait ses preuves avec d’excellents résultats. Aujourd’hui, on a parfois tendance à vouloir trop se diversifier, à toujours chercher le meilleur outil pour développer la vitesse ou l’explosivité. Pourtant, il est souvent plus efficace de rester sur des approches simples et performantes.

Enfin, il faut reconnaître que chaque sport a connu sa propre transformation. Dans mon domaine, par exemple, on observe une nette évolution dans le football. Les joueurs intègrent le monde professionnel de plus en plus jeunes, à 16 ou 17 ans, ce qui était impensable auparavant. Cette évolution a forcément un impact sur les performances, qui ne cessent de progresser.

 

ATS – Pensez-vous que votre métier s’est complexifié avec l’arrivée des données, des statistiques et l’intensification de la concurrence ?

Intégrer les données statistiques n’est pas une tâche compliquée en soi. Ces outils s’avèrent précieux pour les préparateurs physiques : ils permettent d’identifier un joueur en méforme, de prévenir les risques de blessure ou encore de quantifier la charge de travail hebdomadaire. Certains clubs utilisent le GPS quotidiennement, tandis que d’autres ne l’exploitent que les jours de match.

L’essentiel réside dans l’utilisation qu’on fait des données recueillies. Quelle est leur utilité ? Comment les analyser et les intégrer dans les entraînements ? C’est là que le GPS prend tout son sens : il sert à mesurer et analyser les performances. Cependant, il ne peut pas tout faire. Aujourd’hui, on a tendance à se concentrer uniquement sur les données, mais il ne faut pas oublier d’autres aspects essentiels, comme le relationnel, les échanges et l’observation.

Pour ma part, je m’appuie beaucoup sur ces éléments humains, tandis que les données me permettent d’ajuster mes décisions. Par exemple, après une analyse hebdomadaire, si je remarque qu’un joueur semble avoir des difficultés, je peux envisager un entraînement spécifique en fonction de son temps de jeu ou de son état physique.

Dans un match, il y a toujours des facteurs imprévisibles : parfois, un joueur court davantage en fonction de la possession de balle ou du plan de jeu de l’entraîneur. En début de saison, on établit des repères selon le projet de jeu. Ensuite, semaine après semaine, on analyse les intensités souhaitées et celles réellement atteintes. Si nécessaire, on ajuste en augmentant ou en réduisant la charge de travail pour s’aligner avec les objectifs.

 

« J’ai l’impression que l’identité du football

commence à se perdre. »

 

ATS – Comment percevez-vous le football moderne ? Prenez-vous toujours autant de plaisir à entraîner sur le terrain et à suivre les matchs de votre point de vue ?

Ah, c’est une très bonne question. Quand je suis sur le terrain, je prends énormément de plaisir. C’est mon métier, mon gagne-pain, mais aussi une véritable source de satisfaction. Être sur le « carré vert » me procure une joie immense.

Regarder un match de foot à la télévision ? Aujourd’hui, je le fais de moins en moins. J’apprécie davantage l’expérience au stade : les sensations, l’ambiance, l’émotion… c’est un plaisir unique. Mais allumer la télé pour suivre un match, ce n’est plus pareil. Hier, par exemple, j’ai regardé le match PSG-Salzbourg… sans vraiment le regarder. Aujourd’hui, tout semble tourner autour de la critique facile, des analyses à outrance et des avis donnés sans réflexion. Les matchs que l’on regarde semblent parfois plus axés sur le business que sur le football lui-même. J’ai l’impression que l’identité du football commence à se perdre.

Dans le football amateur, je vois une autre réalité. Beaucoup de parents sont obsédés par l’aspect financier, inspirés par des joueurs comme Mbappé. Ils rêvent que leurs enfants, qu’ils soient filles ou garçons, deviennent les prochains Mbappé. Ce milieu devient de plus en plus complexe. Ayant coaché des jeunes, des débutants aux U5 et U6, j’ai observé les comportements des parents et des joueurs. Ce qui m’interpelle, c’est cette surabondance d’avis. Parfois, ces avis n’apportent rien d’intéressant. Si un avis est constructif et encourage l’échange, il peut être enrichissant. Mais lorsqu’il s’agit simplement de vouloir avoir raison, cela ne mène nulle part. Dans ce cas, il n’y a ni débat ni dialogue, alors ça ne sert à rien d’engager la conversation.

Je dois avouer que je prends moins de plaisir à regarder le football qu’avant. Ce soir, il y a Arsenal-Monaco, et je vais le regarder, car j’apprécie ces deux clubs. J’aime ce que fait Arteta, et l’Emirates Stadium, que j’ai eu la chance de visiter, est un endroit exceptionnel. Mais par exemple, le match Juventus-Manchester City ne m’attire pas. Entre un City en difficulté avec Guardiola et une Juventus qui tente de retrouver son histoire, ça ne m’intéresse pas. Autrefois, une affiche comme Juventus-City aurait été un événement incontournable. Maintenant, je préfère parfois mettre une série sur Netflix.

 

« On s’identifie moins au football

d’aujourd’hui. »

 

ATS – Pensez-vous que certains joueurs ont pris la grosse tête ? Selon vous, la présence de trop d’égos dans le milieu du football nuit-elle à la passion des véritables puristes ?

Je ne dirais pas que les joueurs ont « la grosse tête », mais je pense qu’on s’identifie moins au football d’aujourd’hui. Prenons l’exemple de l’Olympique Lyonnais à l’époque de Juninho, Cris, et leurs coéquipiers. C’était une équipe qui faisait rêver, par leur manière de jouer, de communiquer et de se comporter. Aujourd’hui, j’ai l’impression que la critique des fans est devenue trop facile. Et quand on essaie de discuter avec un joueur, on se heurte souvent à un certain ego.

Tu me demandais tout à l’heure si le football a changé. Oui, il a énormément évolué. Regarde les montants des transferts : Zinedine Zidane, à l’époque où il est passé de la Juventus au Real Madrid, a été vendu pour environ 75 millions d’euros, ce qui était un montant record. Aujourd’hui, des jeunes joueurs de 20 ans sont transférés pour 100, 120, voire 130 millions d’euros.

Même un joueur moyen de Ligue 1, s’il joue dans un championnat européen ou participe à des compétitions comme l’Europa League ou la Ligue des champions, peut être valorisé à 60, 80, voire 90 millions d’euros. On oublie parfois que Zidane, une véritable légende, avait été vendu pour 75 millions à l’époque, un montant déjà impressionnant. Ces écarts de valorisation montrent bien à quel point le football a changé, notamment sur le plan financier.

 

« Ils n’aiment pas forcément

regarder le football. »

 

ATS – Pensez-vous que l’argent a dénaturé le football ? Avez-vous également observé un éloignement progressif des amateurs envers ce sport ?

J’ai travaillé avec pas mal de joueurs professionnels en individuel, et j’ai remarqué qu’ils n’aiment pas forcément regarder le football. Par exemple, l’un d’entre eux, qui joue en Ligue 1, m’a confié : « Je suis footballeur professionnel, mais je ne regarde pas la Ligue 1. Je regarde parfois la Premier League ou la Liga, car ce sont des championnats attractifs, mais le football en général ne m’intéresse pas. » Il m’a aussi expliqué : « Je vis du foot tous les jours, donc quand j’ai du temps libre, je préfère faire autre chose. »

Pour lui, il est déjà le meilleur, donc s’il a un peu de recul, il va analyser ses propres matchs, ce qui est effectivement intéressant pour progresser et se différencier. Mais il ne voit pas l’intérêt de perdre du temps à regarder Messi ou d’autres joueurs.

Avec l’expérience que j’ai aujourd’hui, je n’attends plus de « merci » de la part des joueurs. Si je m’étais accroché à cette attente, je serais tombé de haut. J’ai eu des joueurs qui ne m’ont jamais payé, et même des joueuses qui ont profité de séances sans les régler. Pour autant, je ne vais pas les harceler pour obtenir ce qu’ils me doivent. Ce n’est pas mon rôle de leur mettre des bâtons dans les roues. Je me dis simplement que chacun récolte ce qu’il sème.

Je suis quelqu’un de très solaire, toujours souriant. En général, on ne peut pas me retirer mon sourire.

 

« Les meilleurs préparateurs physiques [ne] se trouvent

[pas] nécessairement en Ligue 1 » 

 

ATS – Avez-vous l’ambition de rejoindre un club de Ligue 1, une équipe étrangère ou même une sélection nationale à l’avenir ?

J’ai failli rejoindre la sélection algérienne de Belmadi pour la Coupe d’Afrique des Nations au Cameroun. Le kiné m’avait mis en contact avec Belmadi, mais il a estimé que je manquais d’expérience au haut niveau, ce qui était vrai. J’avais de l’expérience en individuel, mais pas en collectif. Ils ont finalement décidé de partir sans préparateur physique, et les résultats ont parlé d’eux-mêmes : l’équipe a été éliminée dès la phase de poules.

Cela dit, je ne pense pas que les meilleurs préparateurs physiques se trouvent nécessairement en Ligue 1. Il y a d’excellents professionnels dans les divisions inférieures, mais ils n’ont pas toujours eu les opportunités ou les contacts nécessaires pour atteindre le haut niveau.

Bien sûr, chaque préparateur physique passionné rêve d’évoluer au plus haut niveau. Mais comme je te l’ai déjà expliqué, il faut avoir la bonne opportunité et rencontrer la personne qui peut t’y conduire. Ensuite, cela dépend aussi de la visibilité, qu’elle soit médiatique ou sur les réseaux sociaux.

À l’époque, je n’étais pas très actif sur les réseaux. Mais ma famille, mes amis et même les joueurs que j’ai entraînés m’ont encouragé à me mettre en avant. Ils me disaient : « Tu devrais faire des podcasts, des interviews, partager tes idées. Ce que tu fais et dis est très logique et professionnel. » Cela m’a aidé à me montrer davantage, et je pense que c’est une bonne chose.

 

Photo : DR


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Dounia MESLI
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