
Figure engagée du football francilien et coach des U18 du Villemomble SF, Fouad Ben-Najah jette un regard lucide et sans filtre sur l’état du football tunisien. Entre amour du pays, désillusion institutionnelle et rêve de renouveau, le technicien d’origine tunisienne livre une analyse à la fois intime et politique d’un système en perte de vitesse.
« La Tunisie, on l’aime plus qu’on ne nous le laisse montrer »
Lorsqu’on évoque la Tunisie avec Fouad Ben-Najah, c’est avant tout une histoire d’amour. Une histoire viscérale. Lui qui a côtoyé l’élite du football tunisien dans les années 2000 — de Roger Lemerre à Adel Chedli, d’Alaeddine Yahia, Kheireddine Diouri à de jeunes internationaux comme Hannibal Mejbri — revendique une proximité unique avec les acteurs du terrain. Pourtant, cette proximité n’a pas suffi à le convaincre de s’engager pleinement, aujourd’hui, dans le football tunisien.
« J’ai envie d’aider mon pays, mais on ne laisse pas la place à ceux qui veulent faire avancer les choses. On nous considère encore comme des immigrés alors qu’on a le pays dans le cœur. »
Un système en panne : « On ne met pas les bons aux bonnes places »
Pour Fouad, le problème n’est pas le talent. Il est structurel. Selon lui, la Tunisie paie le prix d’un football gangrené par le clientélisme, la précarité institutionnelle et l’absence de vision technique.
« Le DTN d’un pays, c’est la personne la plus importante. C’est lui qui doit impulser une politique sportive nationale. Chez nous, il n’a pas de projet clair. Les entraîneurs tournent tous les six mois, on ne forme plus, on n’a plus de stades homologués… C’est une valse permanente. »
Dans ce marasme, les clubs historiques comme l’Espérance, l’Étoile du Sahel ou le Club Africain tentent tant bien que mal de maintenir un niveau de performance, mais l’écosystème dans son ensemble s’effondre.
« Avant, même les clubs dits « de seconde zone » étaient des viviers : Stade Tunisien, La Marsa, Béja, Kairouan… Aujourd’hui, la crise économique et la révolution sont passées par là. L’État n’investit plus dans le sport. »
L’exode des compétences : « Les meilleurs sont ailleurs »
Face au blocage interne, beaucoup de techniciens tunisiens choisissent l’exil. Fouad cite l’exemple de Mouine Chaâbani (RS Berkane) ou Radhi Jaïdi (Paradou AC), partis travailler dans des environnements plus sains, avec de vraies conditions de travail.
« Les entraîneurs compétents fuient le pays. Pas pour l’argent, mais pour les infrastructures, pour pouvoir bosser. Moi-même, j’ai failli partir avec Mohamed Bamba en Côte d’Ivoire, un entraîneur remarquable. »
Et lorsqu’il est question d’argent, Fouad tranche :
« Moi, l’argent, ce n’est pas ce qui m’intéresse. Tu veux travailler pour faire avancer le foot, très bien. Si tu viens pour l’argent, c’est que tu n’as rien à proposer sur le plan sportif. »
L’espoir, malgré tout
Malgré les blocages, Fouad garde la foi. Celle que le football tunisien — fort d’un vivier riche, de compétences présentes dans la diaspora, et d’une histoire encore vivace — peut se relever.
« Le Maroc, le Sénégal, l’Afrique du Sud sont en train de nous dépasser. Si on veut revenir sur le devant de la scène, il faut arrêter les jeux de pouvoir. Il faut un vrai projet, des gens compétents, des moyens. Pas forcément des millions. Juste de la volonté, de la clarté et du travail. »
Et quand on lui demande s’il pourrait un jour revenir s’engager pleinement en Tunisie, il répond avec franchise :
« Je viendrai avec mon diplôme UEFA A, et avec un vrai projet. Pas pour faire semblant. Si on me donne les clés, avec humilité et en m’entourant des bonnes personnes, je suis persuadé que la Tunisie peut redevenir une puissance du football africain. »