Fin de parcours pour un redoutable colosse. Après le dribbleur Louis-Paul Mfédé, la formidable génération des Lions indomptables qui surprit le monde entier à la Coupe du monde de football Italie 1990 perd Benjamin Massing. Le teigneux défenseur qui tint en respect Diego Maradona et ses coéquipiers champions du monde en 1986 a rendu l’âme de façon brusque le 10 décembre 2017 à son domicile d’Edéa, sur la côte camerounaise. Son sens du patriotisme et sa détermination avaient séduit ses compatriotes qui aujourd’hui saluent sa mémoire et regrettent son départ.
Nos confrères de la télévision camerounaise Equinoxe télévision n’ont pas eu de chance. Ils ont dû renoncer à leur émission, sorte de grande interview, prévue le dimanche 10 décembre 2017 en direct dès 13 heures 30 minutes. Pas à cause de la censure des autorités, ou même d’une décision de la hiérarchie de la chaîne. Juste que l’invité du programme culte « Dimanche avec vous » venait de mourir. Ce devait être le tour de Benjamin Massing, l’ancien défenseur des Lions indomptables du Cameroun, membre de la formation qui émerveilla le monde entier à la Coupe du Monde Italie 1990, de répondre aux questions du journaliste Serge Alain Ottou et ses collègues.
L’équipe de production a été informée du décès de Benjamin Massing dès les premières heures de la matinée. Il a rendu l’âme à Edéa, à une soixantaine de kilomètres de la capitale économique du Cameroun, Douala. Il devait rallier cette ville après la réunion familiale programmée tôt le matin. A la place de l’invité mort brusquement, les férus du programme ont vu assis son ancien coéquipier de la sélection Eugène Ekeke. Il est venu compatir, parler du joueur qu’il a cotoyé en équipe nationale. Et pour montrer que tout était prêt et qu’il ne manquait que Massing, le présentateur a fait diffuser le grand reportage de 13 minutes qui résume l’invité. Une production que celui qui se faisait surnommer « Abdallah » n’aura pas le loisir de commenter.
Un départ brusque
« Nous devions avoir une petite assise familiale. Tout le monde était déjà là. Nous n’attendions plus que lui pour commencer. Nous avons envoyé quelqu’un le chercher. Une de mes belles-sœurs est allée frapper à sa porte. Sa fille aînée est revenue nous dire qu’elle l’a appelée en vain. Nous nous sommes tous levés, sommes allés vers sa chambre. Nous avons écarté le rideau de sa fenêtre et l’avons vu couché. Nous avons enfoncé la porte et mon frère aîné est entré. Nous lui avons tapoté les joues. On a pris son pouls, touché ses pieds. Il n’y avait plus rien à faire pour lui. Il était déjà mort », raconte la sœur aînée du défunt, Monique Massing.
Benjamin assing est ce joueur qui se révéla au monde entier à l’occasion du match d’ouverture (remporté 1-0 par le Cameroun) du mondial italien le 8 juin 1990. Le défenseur Camerounais en fit voir de toutes les couleurs à ses vis-à-vis Argentins. Il ne lésinait sur aucun moyen faisait pour empêcher Maradona, Burruchaga ou Cannigia de porter le danger dans son camp. Maradona souffrit de sa détermination, Cannigia encore plus. C’est d’ailleurs une charge dangereuse pour l’intégrité physique du remplaçant argentin qui vaudra au colosse d’un mètre 83 une expulsion à la 89ème minute. Massing charge comme un taureau Cannigia qui fonce vers les buts de Nkono après s’être défait d’autres Camerounais. Son engagement est si fort qu’une de ses godasses sort. L’arbitre français Michel Vautrot lui adresse sans attendre son deuxième carton jaune et le petit papillon rouge qui l’accompagne.
La terreur des attaquants
« Chacun a joué sa partition, et s’est retiré au moment où il n’avait plus à faire sur le terrain, dira plus tard le stoppeur. « Moi particulièrement, j’avais pensé que c’était un match à travers lequel je devais prouver toutes mes qualités. Je crois que je me suis vraiment amusé, jusqu’au moment où je suis expulsé par Monsieur Vautrot qui a eu certainement de bonnes raisons pour me donner ce carton rouge. (…Je crois que je ne trouverais pas une excuse ou un pardon pour Monsieur Vautrot, parce qu’il faut l’avouer, si je devais le juger, je dirais simplement qu’il s’est trompé comme tout être humain. Ou alors, s’il avait des appréhensions, oui peut-être. Mais, je crois que sur le plan du jeu, si c’avait été un autre arbitre, j’aurais pu terminer ce match », revendiquait Benjamin Massing en 2014 sur le site Internet camerounais www.camfoot.com
Si la presse italienne du lendemain qualifie son acte de « brutalité », ses compatriotes saluent un héros qui s’est sacrifié pour éviter la défaite au Cameroun. Depuis ce jour l’image du vaillant stoppeur prêt à défendre comme un soldat la patrie est restée dans les esprits. Et c’est celle qui est revenue dans les témoignages dès l’annonce de sa disparition. Celui d’Eugène Ekeke, un autre membre de l’expédition italienne est des plus édifiants. « Quand les moments étaient difficiles on pouvait compter sur les parades de Benjamin derrière. Benjamin respirait le football. Il est né à côté d’un stade. Donc le stade était son quotidien. Il était professionnel. C’est-à-dire qu’il pensait au foot le matin, il dormait avec le foot et se réveillait avec. Il pratiquait le foot en permanence et a continué avec le football. C’était un passionné. Il ne pouvait pas vivre sans le football. Il va nous manquer ».
L’hommage manqué
Benjamin Massing est mort le jour choisi pour la finale de la Coupe du Cameroun de football masculin, l’événement qui clôture la saison sportive dans le pays. L’indifférence (ou peut-être l’oubli) des organisateurs qui n’ont pas fait observer une minute de silence ou commandé d’autres gestes de compassion symboliques en a outré plus d’un. Cas du journaliste sportif Martin Camus Mimb qui s’indigne sur son profil Facebook dimanche à 16 h 42. « J’espérais être surpris. Voir les sportifs rendre hommage à Benjamin Massing. Héros du Mondiale 1990. En présence du Chef de l’État. Ni les clubs pour un simple bandeau au bras des joueurs. Ni l’organisation pour une minute de silence, ou plus simple, un portrait du joueur brandi…R.I.EN…. C’est quoi cette banalisation ? C’est quoi cette indifférence ? Je suis déçu. C’est mon droit non? », écrit-il. Le chroniqueur Louis Noé Mbengan sur Radio Equinoxe est tout aussi gêné. « Le protocole d’Etat n’a pas daigné demander une minute de silence en sa mémoire à l’occasion de la finale de la Coupe du Cameroun …Un digne fils qui est parti, qui avec ses coéquipiers nous a donné, des jours fériés à travers leurs victoires. Et on ne pense pas à lui consacrer une minute de silence devant le chef de l’Etat. J’ai trouvé cela triste ».
Benjamin Massing nous quitte à l’âge de 55 ans. Il était né le 20 juin 1962 chez lui à Edéa. Il a disputé deux matches (Cameroun-Argentine et Cameroun-Angleterre) lors de la Coupe du Monde de 1990 et la Coupe d’Afrique des nations de 1992. Massing entre en équipe nationale senior en 1987. Il en ressortira après avoir porté le vert-rouge-jaune à 21 reprises. Sa carrière en club l’aura conduit tour à tour au Diamant de Yaoundé (1986-1988), à l’Us Créteil (en France, de 1988 à 1991) et l’Olympique de Mvolyé, un autre club camerounais, de 1991 à 1992. Après sa retraite, Benjamin Massing a embrassé une carrière dans les métiers de la forêt. On le retrouvera dans la gestion du football. En 2009 il est élu président de la ligue de football de son département d’origine. Il partira de là pour retrouver la forêt. Avant sa mort la tête de l’ex international fourmillait de projets.
Pierre Arnaud Ntchapda