Mariama Signaté : « La reconversion […] c’est toujours problématique chez les sportifs »



Etudiante en management à l’EM Lyon à Paris, après une riche carrière dans le handball, l’ex-internationale française Mariama Signaté (34 ans), nous explique la difficulté de jongler entre le sport et les études, et l’inéluctable période de reconversion de tout sportif de haut niveau. 

Africa Top Sports – Sportive de haut niveau, et après ? 

Mariama Signaté – La reconversion il faut en parler, car c’est toujours problématique chez les sportifs. C’est toujours dur de se projeter, quand on est encore en activité. Chaque parcours est unique, c’est la raison pour laquelle c’est toujours positif de donner son expérience à ce sujet, pour offrir plus de perspective de réflexion aux autres sportifs. 

Aujourd’hui ma fédération m’accompagne dans ma reconversion. Quand j’ai pris ma retraite à l’été 2019, ma fédération m’a ajoutée sur la liste ministérielle des athlètes de haut niveau en reconversion. Je bénéficie d’un suivi et d’un financement partiel de mes études. Un privilège que j’ai obtenu grâce à mes années en équipe de France. Je pense que c’est important de le préciser, parce que beaucoup d’autres sportifs n’ont pas cette chance. 

ATS – Est-ce que la reconversion est plus difficile à gérer en tant que femme ? 

M. S. – (elle réfléchit brièvement) Oui je pense qu’il y a cette problématique là, mais il y a surtout la problématique de la discipline qu’on exerce. Il est vrai que le statut de sportif de haut niveau est plus facilement représenté aux yeux de la société par les hommes, je ne sais pas pourquoi, mais c’est vrai qu’il y a plus de fascination pour les sportifs que pour les sportives.  

Donc peut-être que les hommes peuvent être un peu plus avantagés, mais je ne pense pas qu’il y ait un énorme écart. A mon avis la difficulté de la reconversion évolue en fonction de la discipline pratiquée, car cela a une influence sur les moyens et les aides mis à disposition. De plus la visibilité, la notoriété peut donner accès à un réseau professionnel plus large, donc aider à faciliter la reconversion. 

“Cela représente plus de sacrifices pour les

sportives [que pour les sportifs]” 

ATS – Ce n’est pas rédhibitoire (obstacle radical à une action) d’être une femme et de devoir passer par la reconversion après sa carrière professionnelle ? 

M. S. – Non ce n’est pas du tout rédhibitoire pour moi. Je pense que la reconversion est une étape difficile pour tous les sportifs en général. Malgré tout, il est vrai qu’au moment de la retraite une femme sportive n’est pas forcément au même point qu’un homme. Un sportif peut avancer du côté personnel pendant sa carrière, sans que cela impacte sa pratique [du sport]. C’est un peu plus facile pour lui de fonder une famille.  

Pour les sportives, une grossesse entraine de vrais changements physiques et énormément d’incertitudes concernant le retour à l’activité, à la compétition, donc forcément on n’en est pas au même point. Cela représente plus de sacrifices pour les sportives et cela entraine aussi une période d’arrêt obligatoire. 

Dans le milieu professionnel et sportif, pour les femmes la grossesse est un sujet sensible et problématique qui peut être rédhibitoire aux yeux de certains employeurs. 

“On n’échappe pas aux difficultés de la vie” 

ATS – Qu’est-ce que le handball vous a apporté dans votre vie ? 

M. S. – Je pense que le sport permet de faire ressortir la vraie personnalité des gens, car je pense que face aux difficultés physiques et à l’opposition, on est à un moment obligé de lâcher prise. Le sport m’a énormément forgé en termes de construction de soi. Cela a influencé ma manière d’aborder les épreuves, de voir le monde. Je pense que ça m’a rendu beaucoup plus obstinée, plus forte, plus réfléchie. Ça m’a aussi permis de voir quelles sont mes forces et mes faiblesses. Pendant ma carrière j’ai constamment été challengée que ça soit mentalement ou physiquement. 

Les sportifs sont confrontés assez tôt dans leur carrière à des situations de pressions élevées, parfois extrêmes et cela à partir du moment où ils entrent dans le système professionnel. 

Pour ma part ça m’a beaucoup forgé. Je suis de nature combattante et fière. Mon tempérament naturel m’a aidé à affronter et surmonter les épreuves. Le sport m’a permis de mieux me connaître, de développer ma force mentale. 

Beaucoup de gens pensent que les sportifs sont déconnectés de la réalité, mais en vérité le sport de haut niveau nous permet de garder les pieds sur terre. Quand la machine déraille, qu’on se blesse, qu’on est en méforme, qu’on est en situation délicate avec l’entraineur ou le club, on réagit juste humainement. On peut toucher le fond mentalement et physiquement, mais ce qui fait la différence c’est la rapidité à laquelle on réussit à se remobiliser et passer l’obstacle. Chaque épreuve qu’on traverse durant notre carrière sportive, nous rend plus fort, nous permet de rester humble et de nous rendre compte que malgré notre mode de vie différent et parfois facilité, nous sommes exactement comme tout le monde, on n’échappe pas aux difficultés de la vie. 

“La pression extérieure peut être

très difficile à supporter” 

ATS – [Les difficultés de la vie] C’est plus dur à vivre car vous êtes plus exposée que les personnes « lambdas », vous devez aussi combler les fans, donc ça doit être compliqué aussi à surmonter moralement et mentalement cette visibilité ? 

M. S. – Le regard des autres, la pression extérieure peut être très difficile à supporter, ça nous pousse à avoir un regard beaucoup plus exigeant sur nous-même. Moi je sais que dans mon cas, je suis une éternelle insatisfaite. 

Pour réussir il faut toujours pousser ses limites, aller de l’avant qu’importe les blessures, les douleurs. J’ai toujours eu la volonté de bien faire, d’être meilleure, de faire en sorte que tous mes efforts paient, que l’événement compte… C’est vraiment difficile de concilier tout ça. Sans compter l’équilibre qu’il faut trouver entre sa vie personnelle et professionnelle, sportive. Ça part d’une passion, mais ce n’est pas qu’une passion au bout du compte. Ce n’est pas du tout un long fleuve tranquille, c’est une vraie leçon de vie. 

ATS – Le sport a été pour vous un facteur d’intégration quand vous êtes venue en France à l’âge de 4 ans ? 

M. S. – Ma mère a grandi en France puis elle est retournée au Sénégal, où nous sommes nées ma grande sœur et moi. Afin de nous offrir un meilleur avenir, elle a décidé de revenir s’installer en France avec nous. En arrivant en France, on avait déjà la culture française, donc je n’ai jamais pratiqué le sport, comme un moyen d’intégration. 

Le sport était surtout un moyen pour ma mère de me canaliser, parce que j’étais une pile électrique. Le sport me permettait d’exprimer toute mon énergie, parce que j’avais besoin d’être en mouvement constant. Très tôt j’ai fait beaucoup d’heures de sport dans la semaine, en alternant le handball et la danse.  

Quand j’ai commencé le handball, j’avais dit à ma mère que je voulais en faire pour être en équipe de France, mais vu mon âge ma mère ne m’avait pas vraiment prise au sérieux ! Les valeurs sportives, représenter son pays [avec les Bleues], ça a directement eu du sens pour moi. 
 

ATS – Est-ce que vous pensiez déjà à votre reconversion au début de votre carrière ? 

M. S. – Le handball a pris très tôt une grosse place dans ma vie. J’ai grimpé tous les échelons petit à petit. J’ai fait toutes les étapes de sélections dès l’âge de 10 ans et j’ai joué pour les différentes équipes de France. Le sport a toujours fait partie de mon quotidien. A partir de l’équipe de France jeune on partait en stage pendant les vacances scolaires et il arrivait aussi qu’on rate quelques jours de cours. Le sport faisait partie de mon projet professionnel. Mais au fur et à mesure du temps le “handball” a commencé à prendre une large place centrale et grandissante dans mon projet professionnel. 

Pendant longtemps j’ai tenté de mener de front mon projet scolaire et mon projet sportif, mais il y a eu un moment où c’est devenu trop difficile et comme beaucoup de sportifs j’ai fait le choix de me focaliser sur ma pratique sportive. J’ai alors vécu, mangé, pensé, rêvé handball pendant très longtemps. C’était difficile de me projeter dans une vie sans sport, d’envisager ma reconversion alors que ma passion régulait ma vie. Je vivais plus facilement l’instant présent et me projetais plus facilement sur les compétions à venir, sur les défis à relever. 

J’ai réellement et sérieusement réfléchi à ma reconversion, que dans les 3 dernières années de ma carrière. 

ATS – Est-ce que vous aviez quelqu’un qui vous a accompagné durant votre carrière sportive, pour vous guider dans l’après-carrière justement ? 

M. S. – J’ai connu plusieurs générations durant mon parcours. J’ai commencé en 1ère division à l’âge de 15ans. 

Pour ma mère les études passaient avant le sport. Il était hors de question pour elle que je poursuive ma carrière sans avoir de bons résultats scolaires et au minimum mon baccalauréat. J’ai obtenu mon baccalauréat littéraire en 2003 et s’en est suivi le grand départ. Je suis partie de Toulon pour aller jouer et étudier au Havre. Ma mère essayait de superviser tout ça à distance, mais ça a été complètement différent pour moi à partir de cette période d’indépendance. En général le discours des clubs était : « Le sport d’abord, repose-toi, concentre-toi sur la discipline ». La plupart des clubs étaient focalisés sur leur investissement financier et nous encourageaient vraiment à prioriser le handball. Souvent les entrainements étaient placés sur les horaires de cours et bien sur chaque entrainement était obligatoire. C’était vraiment difficile, parce qu’à cette période le système universitaire n’était pas du tout organisé pour les sportifs de haut niveau. Pas de tutorat ni de cession de rattrapage en cas d’absences liées au sport. 

“C’était parfois mission impossible de tout

mener de front [sport et études].” 

J’ai commencé tôt en équipe de France A, à l’âge de 19 ans et il y avait énormément de jours de stages et de compétitions. C’était parfois mission impossible de tout mener de front. On est souvent tenté de profiter du moment présent, sans penser à la suite. Pendant les années de ma carrière durant lesquelles j’ai poursuivi mes études, il y avait pour moi un déséquilibre. C’était vraiment très difficile pour moi de jongler entre le sport et les études. Soit j’étais à fond dans mes cours, mes devoirs et mes révisions, et ce cela me prenait tellement d’énergie que mon niveau sportif déclinait, soit j’étais à fond dans le sport et souvent je n’avais plus assez d’énergie pour maintenir des bons résultats scolaires. 

“Pendant mes années universitaires les sportifs étaient

mal perçus par les professeurs” 

C’est vraiment très difficile de mener de front un double projet, car c’est un rythme à prendre et cela nécessite aussi la mise en place d’un bon encadrement scolaire pour surmonter ces périodes de difficultés. Pendant mes années universitaires les sportifs étaient mal perçus par les professeurs, à cause des nombreuses absences, mais aujourd’hui le double projet professionnel des sportifs à fait son chemin dans les mentalités et les sportifs sont beaucoup mieux encadrés. 

Je vois que le système a bien évolué, puisque j’ai ma petite sœur (âgée de 27 ans, ndlr) qui fait du judo à l’INSEP, et tout au long de son parcours, on l’a toujours – non pas imposé mais – poussé à garder un pied à l’école. Elle bénéficie d’un très bon accompagnement par rapport à ça. 
 

ATS – Vous saviez que vous ne gagneriez pas assez [en début de parcours] pour être tranquille après votre carrière de handballeuse ? 

M. S. – Bien sûr ! Lorsque j’ai commencé à jouer avec les équipes professionnelles, certaines joueuses avaient des contrats professionnels, mais ce n’était pas le cas de tout le monde. Les joueuses percevant peu d’argent, devaient avoir une autre activité professionnelle pour vivre. Le sport féminin avait des moyens réduits, ce n’était évidemment pas comme dans le football masculin avec des montants extrêmement élevés, qui pouvaient assurer une retraite paisible [aux footballeurs]. 

Les joueuses de handball avaient conscience que les revenus perçus durant leur carrière, ne suffiraient pas pour continuer à vivre [correctement] après leur retraite sportive. La reconversion était un passage obligatoire. 

Je pense qu’il y a très peu de sport qui génèrent assez de revenus pour se dire : « C’est bon on va avoir une certaine sécurité pour la suite, jusqu’à la fin de sa vie ». Il faut en plus avoir les bons réflexes financiers. On a vu beaucoup de cas de sportifs qui après une mauvaise gestion de leur argent durant leur carrière, se sont retrouvés sans rien et pourtant certains d’entre eux avaient été millionnaires. 

ATS – Quelle serait votre reconversion aujourd’hui ? Est-ce qu’elle sera forcément dans le milieu sportif ? 

M. S. – Je suis de nature sociable et communicante. J’adore la communication, j’aimerai d’ailleurs à terme devenir directrice de la communication dans une grande entreprise. Aujourd’hui j’ai une meilleure connaissance des domaines dans lesquels je peux être performante. J’aime être en contact avec les autres, communiquer, établir une stratégie, créer et faire évoluer un projet, répondre à des problématiques, relever des challenges, manager une équipe. 

J’aimerai aussi avoir une influence dans le milieu sportif, que ça soit mon travail ou un plus dans ma vie. Mais honnêtement je ne m’enferme pas dans le milieu sportif parce que je trouve qu’il y a énormément de choses à apprendre en dehors du monde sportif. Je ne sais pas dans quelles conditions cela sera possible, mais j’aimerai énormément pouvoir œuvrer dans et pour le sport, parce que je suis une amoureuse du handball et  du sport en général. 

“On n’utilise pas assez les athlètes

qui ont déjà apporté à leur sport” 

D’ailleurs je reste convaincu que le rôle, l’impact des sportifs ne devrait pas prendre fin le jour de leur retraite. Malheureusement aujourd’hui il n’y a pas vraiment de continuité, de mémoire sportive. Les athlètes sont rapidement oubliés et remplacés par les générations suivantes. On n’utilise pas assez les athlètes qui ont déjà apporté à leur sport, pour mieux faire rayonner le sport dans la société.  

Il y a plein d’anciens champions partout en France, dans toutes les régions, mais le problème c’est qu’en quelque sorte on coupe le cordon avec eux, au lieu d’entretenir le lien avec ces athlètes qui veulent continuer à œuvrer pour leur sport.  

Pour moi il y a de la lumière pour tout le monde, il y a de la place pour tous ceux qui veulent contribuer au développement des fédérations sportives, du sport en France et dans le monde. 

“Lorsque j’ai pris ma retraite j’ai été confrontée à la réalité du monde du travail en France.” 

ATS – Quel est l’objectif de votre formation aujourd’hui à l’EM Lyon de Paris ? 

M. S. – L’objectif pour moi est d’acquérir de nouvelles compétences opérationnelles et de perfectionner mes compétences déjà acquises, grâce à des études de qualités, de devenir une vraie « early marker » (un manager 2.0 qui sait s’adapter et innover face à l’évolution de la société), d’obtenir un diplôme qui a du poids dans le marché du travail. 

Lorsque j’ai pris ma retraite j’ai été confrontée à la réalité du monde du travail en France. Lors du recrutement toute l’attention des entreprises est portée sur les diplômes, l’expérience, les soft skills (compétences humaines, acquises par son vécu personnel) sont peu considérées. C’est pour cela qu’aujourd’hui j’ai fait le choix de reprendre mes études.  

J’espère que je serai une employée qui permettra de percevoir les choses différemment. Je vais devoir rentrer au sein d’une entreprise de manière « traditionnelle » en validant un diplôme, mais j’espère pouvoir agir en faveur d’un changement des mentalités, dans la manière de percevoir et d’évaluer les sportifs. Je ne demande pas de passe-droit, mais seulement qu’on prête une meilleure attention aux réelles qualités des athlètes de haut niveau. Notre expérience hors du commun nous a permis de développer d’importantes soft skills, qui bien qu’elles ne soient pas validées par un diplôme, peuvent apporter une hyper “compétence” en entreprise. 

Propos recueillis par Dounia Mesli


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