Côte d’Ivoire – Foot féminin : Entre sexisme et manque de moyens, à la rencontre du club « Juventus de Yopougon »



Jour de demi-finale de CAN 2023 ce mercredi 7 février à Ebimpe (Abidjan), avec le pays hôte de cette 34e édition, la Côte d’Ivoire qui affronte la RD Congo pour une place en finale. Les Éléphants, miraculés de la phase de groupes ont su montrer un visage beaucoup plus vaillant pour éliminer le Sénégal puis le Mali, créant ainsi une réelle euphorie autour d’eux, une dynamique et un enthousiasme que les joueuses de la sélection et en clubs peinent à vivre.

Pour tenter de comprendre cette situation, nous sommes allés à la rencontre du Président du club le Juventus Yopougon, Gossé Émile – dont une certaine Rosemonde Kouassi a été formée – la coach, Aka Adjoua Adjoumani et deux de ses joueuses, Coulibaly Djelika et Kouadio Joceline Berta pour échanger sur leur passion du ballon rond commune et les difficultés qu’ils rencontrent pour développer le football féminin et donner les bonnes conditions pour permettre à ses joueuses et encadrants de jouir de leur sport !

Payées pour la plupart 20000 francs CFA par mois – quand tout va bien et que la trésorerie est bonne – ce qui équivaut à 30€ par mois, quand les joueurs sont payés dix fois plus, voire beaucoup plus, une situation qui a même poussé la sélection nationale ivoirienne à déclarer forfait en novembre dernier pour les éliminatoires aux JO de Paris 2024, après avoir été éliminée de la phase finale de la prochaine CAN 2024 au Maroc ! Des témoignages touchants et manifestes d’une société encore trop sexiste à l’égard des femmes.

 

Gossé Zédé Emile, président du club Juventus de Yopougon

 

Africa Top Sports – Monsieur le président, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs s’il vous plaît ?

Je suis Monsieur Gossé Zedé Émile. Je suis le fondateur du club. A chaque fois je trouvais des présidents que je mettais à la tête du club, mais maintenant, c’est moi qui suis là depuis un moment. Je suis dans le football féminin depuis des décennies, plus de 30 ans.

 

ATS – Donc vous avez tout vu ? Vous avez vu toutes les équipes nationales ?

Oui. La plupart des membres de l’équipe nationale ivoirienne, encore aujourd’hui, sont des anciens, issus de la Juventus.


ATS – Pourquoi avoir choisi le football féminin, Monsieur le Président, pourquoi êtes-vous si impliqué dans cette pratique ?

J’ai été à l’époque vice-président du stade d’Abidjan. Mais vous savez, le football féminin, pour moi, c’est comme une drogue. Quand vous voyez les gestes des filles c’est plus émotif que chez les garçons où tout est un peu dur. En plus, quand on crée quelque chose qui commence à évoluer avec le temps, il faut le suivre et s’assurer que ça ne tombe pas.


ATS – Les joueuses sont un peu comme vos filles ?

Oui, ce sont mes filles. Mes propres filles, les filles de ma famille, jouent au football.

 

ATS – Est-ce que vous avez bien connu Rosemonde Kouassi, qui joue actuellement au FC Fleury en France (D1 Arkema) ?

Oui. Rosemonde est une recrue de la Juventus. Nous sommes allés la chercher dans un village appelé Toumoudi. Quand on nous a dit qu’il y avait une fille à Toumoudi qui jouait très bien, nous sommes allés la chercher. Et elle a fait ses beaux jours à la Juventus jusqu’en équipe nationale.
Quand elle est arrivée, nous lui avons donné un coach qui a amélioré son jeu, qui a veillé à ce qu’elle s’améliore très bien. Et Dieu merci, la première fois, c’était en Israël qu’elle est partie. Lorsqu’elle est partie en Israël, il y avait le COVID, donc elle est revenue six mois plus tard. Et puis ça a évolué, elle est partie à Fleury. Mais pas sous la Juventus, parce qu’avant son départ, son oncle est venu nous raconter des histoires et il l’a envoyée dans un autre club. Et puis elle est partie. C’était compliqué pour elle. Et finalement, elle a réussi, et elle est partie, elle s’est intégrée. Elle est intransigeante. Elle vit le football. Je peux vous l’assurer.

 

ATS – Justement président, on sait qu’il y a des joueuses qui ne sont pas bien accompagnées parfois. Est-ce important que les joueuses soient bien accompagnés par leurs parents, leur entourage, club etc ?

Oui, oui, c’est très important. Vous savez, si vous atterrissez dans un endroit où vous ne vous attendez pas à atterrir, où vous ne pensiez même pas jouer, vous avez besoin d’un de vos parents pour pouvoir vous aider à vous adapter. Après vous pouvez continuer seul. Quand les filles vont seules comme ça aussi, c’est vrai, c’est dur pour elle de s’adapter. Mais Rosemonde, quand elle est arrivée, elle était tellement contente de repartir, au moins elle s’est intégrée normalement (à Fleury). Cela nous rend heureux parce que quand vous prenez une fille que vous avez élevé dans votre club pendant cinq ans et qu’elle évolue au haut niveau, même si vous ne gagnez pas d’argent (sur son transfert comme cela peut se faire chez les garçons, ndlr), il y a quand même de l’honneur. Parce que quand on demande d’où elle vient, elle vient de la Juventus. Pour nous, c’est déjà un plaisir.

 

ATS – Vous n’aviez pas eu d’indemnité sur son transfert ?

Non, même pas un centime.

 

ATS – C’est ce qui manque dans le football féminin, que les clubs formateurs soient également rétribués. Dans le football masculin, on le voit très souvent.

Oui, les gens gagnent de l’argent pour développer leur club, donc c’est important (d’aider les clubs formateurs). Tu as une fille, si elle doit partir, qu’on nous en informe. J’ai été informé lorsque Rosemonde m’a appelé et m’a dit : « tu dois signer ma lettre de décharge ». Je ne me suis pas opposé, j’ai signé la lettre de décharge. Il ne faut pas bloquer les filles, c’est leur avenir. Avec ça, elle peut nourrir toute une famille.

 

ATS – Monsieur le Président, vous nous disiez qu’il y avait ici un véritable vivier de footballeuses talentueuses. Mais est-ce que ça vous rapporte vraiment quelque chose ?

Bon, si je vous dis que ça m’apporte quelque chose, c’est que j’ai menti. Vous savez, dans le passé, quand la Côte d’Ivoire était qualifiée pour la Coupe du monde, j’avais dix joueuses en équipe nationale, en 2015. A l’époque, on nous disait même que nous allions devenir riches parce que la FIFA donnait 15 millions à chaque joueuse locale. Mais après, on n’a rien eu. Et quand on demande, on nous dit d’écrire à la FIFA. Mais, vous savez, comme je l’ai dit, c’est l’amour du sport qui nous oblige, dans nos vieux jours, à suivre nos jeunes filles. Sinon, gagner quelque chose, non, rien. Rien.

 

ATS – Il y a aussi un aspect qui est souvent évoqué dans le football féminin. C’est le harcèlement, les propos sexistes, etc. On sent que la protection des joueuses face aux scandales qui peuvent touchés le football féminin, voire masculin, ça peut aussi vous tenir à cœur. Essayez-vous de protéger vos joueuses ?

Oui beaucoup. Les filles, il y en a qui vivent avec moi. Elles viennent de l’intérieur du pays, n’ont pas de parents ici. Mais je les prends. Il y en a que je prends, je loue leur maison. Nous louons leur maison, nous payons leur école. J’ai même une fille, celle que tu vas interviewer. J’ai tout fait pour qu’elle entre au lycée, car elle a un baccalauréat.

On prend soin d’elles, on devient leur père, leur grand-père, tout. C’est ainsi que nous vivons.

 

ATS – Mais vous n’avez aucun investissement ? Personne ne vous aide ? Il n’y a pas de grandes marques ici qui veulent sponsoriser le football féminin ?

Pas de sponsors, rien. Nous nous gérons nous-mêmes. Quand vous appelez quelqu’un qui vient vous aider spontanément, eh bien, c’est fini.

 

ATS – Même la Fédération n’investit pas ?

La Fédération, eh bien, c’est insignifiant ce qu’elle commence à nous donner maintenant. Vous donnez un million, où ira-t-il ? C’est pour cela que le football féminin ivoirien est catastrophique. Et comme vous l’avez dit, on a pourtant un vivier, beaucoup de jeunes filles talentueuses.  Et quand on veut parler, on dit non. Vous avez des associations privées, donc vous n’avez pas créé votre club pour que la FIF vous donne de l’argent. Si on vous dit ça, eh bien, écoutez, c’est une arme qu’on utilise pour t’assommer.

 

ATS – Pour parler de la CAN, quel est votre sentiment sur la compétition. Que pensez-vous de cette CAN à 24 équipes ?

C’est une joie pour nous d’être en demi-finale. C’est un miracle pour nous. On a vilipendé nos joueurs. Mais ensuite on s’est dit, ce sont nos enfants de toute façon, il faut les soutenir. C’est pourquoi nous les soutenons à chaque fois. J’ai déjà mon billet pour les demi-finales. Cette CAN est très bien organisée. L’organisation est parfaite. Et nous ne donnons pas non plus l’impression que même si nous étions éliminés, nous irions quand même sur le terrain pour que les gens ne disent pas que nous avons ruiné notre réputation. C’est une grande réussite pour nous.

 

ATS – S’ils vont jusqu’au bout, s’ils gagnent, voudriez-vous que ce qui arrive aux hommes se reflètent chez les femmes ?

Eh bien, je pense que nous sommes en route pour ça. Cette année on nous a demandé beaucoup de choses. On nous a demandé d’inscrire toutes les filles, qu’elles aient un compte bancaire pour qu’on leur vire ce qu’on leur doit. Si la Côte d’Ivoire remporte la Coupe, nous serons tous contents. Cela pourrait contribuer au développement du football féminin.


ATS – Pourquoi selon vous il est si difficile de développer le football féminin en Afrique ?

C’est le manque de moyens. Je vous le dis, les filles veulent jouer, elles ont du talent. Mais s’il n’y a rien pour les pousser ça ne peut pas aller. Elles ne vivent ni ne travaillent dans de bonnes conditions, alors qu’il suffit du minimum pour les voir éclore. Si la FIFA peut faire en sorte que les choses se passent dans le football féminin de la même façon que dans le football masculin, tout ira mieux. Même nos filles qui partent à l’étranger ne s’en sortent pas tout le temps.

 

Aka Adjoua Adjoumani, gardienne de but Juventus

ATS – Nous aimerions savoir ce que vous ressentez ici, comment vous voyez le football féminin en Côte d’Ivoire ?

Je me sens bien ici, mais le football féminin en Côte d’Ivoire est vraiment faible. Le niveau n’est pas aussi élevé qu’à l’étranger. Nous ne sommes pas trop considérées. On accorde beaucoup plus d’importance aux hommes qu’aux femmes alors que ces dernières sont très talentueuses, bref on rabaisse le football féminin en Côte d’Ivoire.

 

ATS – J’ai entendu ici des propos ou comportements misogynes, même à mon égard. Lorsque vous jouez vos matches, est-ce que vous recevez des critiques ou jouez-vous calmement ?

On joue calmement, mais après les matches, il y a toujours des critiques et des suggestions notamment sur comment faire pour s’améliorer et pour évoluer.

 

ATS – Pour parler un peu de ce qui se passe avec la CAN 2023 et ce que font les Eléphants, quelle est ton opinion sur la compétition ? Est-ce que ça te donne envie de vivre les mêmes émotions ?

Oui, ça me donne envie. C’est vraiment émouvant. C’est incroyable, c’est vraiment incroyable. On ne sait pas d’où ça vient, mais on bénit le nom du Seigneur pour ça.

 

ATS – Comment voyez-vous le football féminin par rapport au football masculin ? Pensez-vous que vous êtes moins considérées ? Aimeriez-vous avoir une vraie place dans le football ?

Ce qui me préoccupe, c’est que je souhaite que le football féminin soit davantage considéré comme le football masculin. Il faut que nous soyons également pris en compte parce que nous avons du talent comme les hommes. Nous jouons comme eux. Nous devons donc élever le niveau pour que nous soyons considérés comme des professionnels.

 

ATS – Tu suis un peu Rosemonde Kouassi, tu as eu la possibilité de la côtoyer ?

Non. Mais je regarde beaucoup de matches féminins sur une chaîne qui diffuse le sport des femmes. Je rêve d’apparaitre sur cette chaine un jour. Je veux jouer dans un grand club.

 

ATS – Est-ce que durant ton parcours tu as connu des difficultés, des propos sexistes, du harcèlement ?

Non, non. Ici il n’y a aucun problème.

 

ATS – Il semble que la FIFA et la FIF ne mettent pas tout en œuvre pour vous protéger ou pour améliorer vos conditions ?

Les conditions ne sont pas bonnes. Il faut qu’on améliore un peu. Si tu n’as pas dans de bonnes conditions tu ne peux pas jouer comme il le faut.

 

ATS – Vous n’êtes pas payées ?

Nous sommes payées, mais ce n’est pas bon, ce n’est pas trop ça. C’est vraiment mauvais.

 

ATS – Le Président du club m’a dit qu’il y aurait des changements l’année prochaine. Qu’il y aura quelque chose qui sera mis en place. Pensez-vous que si les Eléphants se qualifient et gagnent peut-être la finale, cela peut avoir un impact et mettre en valeur le football féminin ?

Je n’en ai aucune idée. Mais nous appelons ceux qui sont déjà en avance à penser un peu au football féminin, à venir aider les clubs pour qu’on puisse avancer et évoluer.

 

ATS – Combien de fois par semaine vous entraînez-vous ? Jouez-vous des matches tous les week-ends ?

On s’entraîne dans ces conditions, vous voyez un peu l’état du terrain de jeu. Tu sautes avec des blessures, des cicatrices. C’est tout. Nous nous entraînons trois fois par semaine, lundi, mercredi et vendredi. Il n’y a pas de lumière rien sur le terrain, donc on ne peut pas s’entraîner le soir. On s’entraine vite pour pouvoir vite rentrer.

 

ATS – As-tu un autre travail/études ou tu pratiques uniquement le football ?

Je pratique le football et je fais mes études dans le domaine de l’assistanat de direction. Mais mon rêve est d’évoluer dans le football et de jouer dans un grand club européen, d’aller plus loin dans le football.

 

Coulibaly Djelika, coach de la Juventus

ATS – Quand vous voyez le parcours des Éléphants, est-ce que ça vous donne envie de vivre les mêmes émotions ?

Oui, vraiment. Le football c’est l’émotion, le football c’est ça. Quand tu vis, et puis le peuple compte sur toi, et tu te donnes à fond. Vraiment, c’est fantastique. Quand tu joues, et puis tu gagnes. Et puis, souvent aussi quand les gens n’attendent pas, et puis tu gagnes, c’est encore plus fort en émotion.

 

ATS – En 2014, vous réalisez votre meilleur parcours en terminant à la troisième place. Comment expliquez vous cette réussite-là, à ce moment-là, et le manque de succès après ? Vous n’êtes pas qualifiés à chaque fois pour la CAN, même la prochaine au Maroc. Comment vous l’expliquez ?

Bon, je peux dire que… Au début, ce n’était pas facile. À chaque fois qu’on partait, on était éliminés. Le football c’est l’expérience. Et puis, je me dis souvent que c’est parce qu’il y a assez de pros qu’on n’arrive pas. Il y a tellement de joueuses qui sortent du pays. Alors qu’avant, on était tous ici. On se battait, on avait faim. Donc on voulait aller de l’avant. Alors que souvent, quand il y a trop de professionnels [ou d’égos] dans une équipe, ça n’avance pas.

 

ATS – Il y a trop de joueuses expérimentées, enfin trop de joueuses « d’égo » ?

Oui, ça fait que chacun vient jouer ce qu’il veut. Le football féminin a du talent en Côte d’Ivoire. Les filles savent jouer, vraiment. S’il n’y a pas d’argument, il n’y a pas de fond… On ne nous paye pas bien. On ne nous considère même pas.
Même les championnats, le salaire, c’est combien ? 50000 ? Ça sert à quoi ? 50 millions par mois. Les Présidents arrivent à peine à nous payer normalement 20 000 francs CFA par mois.

Ça peut faire quoi ? Une femme, tu dois payer tes dessous. Moi-même, j’ai un enfant. J’ai fait un enfant cette année.

 

ATS – Est-ce que vous vous sentez accompagné et considéré à votre juste valeur ?

Même pas.

 

ATS – Est-ce que vous avez rencontré des difficultés, des problèmes de sexisme dans votre pratique du football ? Avec les dirigeants ou ailleurs ?

Non, non.

 

ATS – Avec les supporters, ça va ?

Oui, ça va.

 

ATS – Les garçons sont double champion d’Afrique en 92 et 2015, aujourd’hui ils visent une troisième étoile. Est-ce que vous pensez qu’ils peuvent le faire ?

On va le faire. J’ai la confirmation. Dieu aide la personne qu’on délaisse. Quand tu es mal vue partout, Dieu t’élève. On ne s’attendait même pas à perdre 4 à 0 (le match contre la Guinée équatoriale, ndlr). Nous tous, on était découragés. Mais on s’est dit que c’est le foot, c’est le pays et au final ils se sont relevés !

 

ATS – Est-ce que tu penses justement que ça peut aider peut-être les femmes à se transcender et aller chercher, et peut-être avoir gain de cause sur tout le reste, comme sur vos conditions et votre salaire ?

Toutes les filles sont professionnelles. Souvent même la sélectionneuse, elle a du mal même à appeler les gens. Parce qu’elle ne sait même pas. Mais on a un défaut ici, on n’a pas de gardienne. La seule qui tient, elle a pris un peu de forme, donc ça fait que… Elle n’a pas de force.

 

Kouadio Joceline Berta

 

ATS – Pouvez-vous nous parler de Rosemonde Kouassi ? 

Rosemonde Kouassi C’est une fille très intelligente. Elle a commencé de Toumondji, elle est venue à Abidjan jouer à la Juventus de Yopougon. Juventus, c’est son club formateur. C’est de la Juventus qu’elle est allée dans un autre club et elle est partie en Europe. Sinon c’est une fille qui joue très bien, respectueuse.

 

ATS – C’est vrai qu’elle a du caractère aussi !

Oui, mais sur le terrain puisqu’elle est douée, elle ne va pas se faire dominer.

 

ATS – C’est ce que vous lui avez appris ? De ne pas se laisser faire, avoir du caractère, d’y aller, de marquer, d’être une grande joueuse ?

Oui, parce que dans le jeu, elle a du talent, il faut encore mettre un peu de vie en elle pour qu’elle puisse avancer. On lui a dit, sur le terrain il ne faut pas t’amuser. Parce que tu as du talent. Il faut être sérieuse sur le terrain pour apporter plus.

 

ATS – Elle est hargneuse. C’est ce que vous demandez à vos joueuses d’être hargneuses ?

Oui la gnac. Il faut jouer, il faut prouver. Le talent que tu as, il faut le prouver sur le terrain et en fonction de cela, il peut avoir un manager qui peut te prendre pour partir.


ATS – Justement Rosemonde Kouassi, a eu un parcours un peu difficile, avant de signer en Europe. Est-ce que ça fait aussi la force de la joueuse ?

Tu sais qu’en Côte d’Ivoire le football féminin ce n’est pas développé comme en Europe. Mais avec le président, il s’est débrouillé un peu pour trouver quelque chose pour les filles. Dieu merci que maintenant la FIFA même essaye de nous sortir un peu de l’eau. Sinon ici le football féminin ne nourrit pas. C’est parce qu’on aime le ballon rond qu’on est là.


ATS – C’est dommage parce que les garçons donnent une belle image aujourd’hui, donc il faut aussi considérer les filles ?

Nous on n’est pas considérés ici. La preuve est qu’on devait jouer les J.O quand elles ont été éliminées de la Coupe d’Afrique. On dit qu’on les a retiré de la compétition. On ne sait pas pourquoi…

 

ATS – Vous aimeriez être accompagné, considéré à votre juste valeur ?

Voilà ! Il faut qu’on nous considère un peu. Ce que les garçons font, les filles aussi le font. Donc pourquoi ne pas nous mettre au même niveau. Même si on n’est pas mis au même niveau, un peu mieux. Peut-être à cause du football on n’est pas allé à l’école. Actuellement je suis rentré dans le coaching. Moi j’ai fait l’équipe nationale de Côte d’Ivoire de 2000 à 2012 et après je suis rentrée dans le coaching. Avant-hier j’ai eu ma licence C CAF.


ATS – Vous trouvez qu’en même un peu de bonheur à coacher ?

Si dans le football je n’ai pas pu avoir [de bonheur], peut-être que dans le coaching cela peut m’apporter plus.


ATS – Est-ce que vous avez rencontré des problèmes de sexisme vous dans votre pratique. C’est-à-dire, des hommes qui vous parlent mal, qui vous rabaissent.

Quand je jouais, avec mes dirigeants et encadreurs personne ne m’a fait ressentir ça. Je n’ai pas vécu ça.


ATS – Est ce que vous avez rencontré des difficultés pour être payé par exemple ?

Plusieurs fois. Souvent même on fait des bras de fer sur ça mais ça va aller où ? Si tu essaye de parler de ça, si tu ne fais pas attention, ils vont te retirer même de l’équipe. Quand c’est comme cela les filles préfèrent se taire, puisqu’elles veulent jouer. Et si par chance elles trouvent un contrat ailleurs elles peuvent partir.

 

ATS – C’est tout ce que vous espérez pour toutes vos filles ? Même vous vous souhaitez partir ailleurs, vous aimeriez être coach de l’équipe nationale ?

Voilà ! Un jour. C’est pour cela j’essaye de passer mes diplômes un peu pour que demain j’ai ma chance.

 

ATS – Pour parler des masculins, je pense qu’ils peuvent avoir un impact sur les féminines, je l’espère. Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur leur parcours puisqu’il a été un peu « bizarre ». Ils ont éliminé le Sénégal, puis le Mali avant-hier, c’est impressionnant quand même ?

Oui. En tout cas vraiment dès le début on était découragé. Quand on a pris 4-0, nous on s’est dit, c’est fini. Mais Dieu a fait qu’aujourd’hui on est toujours dedans. Donc quelqu’un qui est ressuscité, est dangereux. Nous on s’en va pour remporter la coupe. Je dis merci à nos frères. Comme on dit dans notre jargon, « découragement n’est pas Ivoirien ». Ils ont été humiliés, insultés, mais aujourd’hui ils ont relevé le défi. On leur dit merci afin que nous puissions remporter cette coupe pour qu’elle reste ici chez nous.


ATS –
Est-ce que vous pensez que cela peut avoir un impact sur le football féminin. Est-ce que la fédération pourra mieux considérer après cela le football féminin pour que les féminines brillent un peu comme ce qu’on voit au Maroc ou en Afrique du Sud ?

C’est mon souhait le plus cher, que le football féminin puisse prendre de l’ampleur en Côte d’Ivoire comme dans les autres pays. Si nous autres on a été des générations sacrifiées, nos sœurs et les générations qui arrivent doivent jouir de leur talent.

 

Propos recueillis par Dounia Mesli, envoyée spéciale d’Africa Top Sports à la CAN 2023.


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