Tripy Makonda (ex-PSG) : « Au foot, il y’a une partie collective, mais c’est beaucoup plus individuel »



La carrière d’un joueur n’est jamais toute tracée. Tripy Makonda en sait quelque chose. Pour Africa Top Sports il s’est confié sur son parcours, notamment sa formation et ses années pros avec le PSG, les sacrifices qu’il a dû faire pour gravir les échelons, les embûches qu’il a rencontré et les désillusions d’une vie de footballeur.

Africa Top Sports – Tout d’abord est-ce que vous pourriez nous présenter brièvement votre parcours de footballeur svp ?

Tripy Makonda – Je suis rentré en pré-formation lors de ma 5e, au centre de formation du PSG. La particularité d’être au PSG, c’est que j’avais la chance de rentrer les week-ends chez moi (Tripy Makanda habitait juste à côté), contrairement à d’autres enfants, qui étaient dans d’autres villes ou issues de l’Ile-De-France, mais qui jouaient dans d’autres clubs en France, qui eux rentraient lors des vacances scolaires. Donc c’est vrai que c’était un plus pour moi, je n’avais pas à gérer cet aspect, ce dépaysement que certains joueurs ont pu connaître. 

Ensuite j’ai gravi les échelons [au PSG], et dès ma première année j’ai été surclassé avec la génération 89 (Younousse Sankharé et co). Tout s’est plutôt bien passé, enfin relativement dans les grandes lignes, je la fais courte. Après je suis arrivé en formation j’avais 15 ans, et puis pareil j’ai gravi les échelons, jusqu’à un moment vers 17 ans – quand Paul Le Guen revient au club après son départ de Glasgow – où là tout s’emballe. A ce moment là il me repère, et il me teste sur certains entraînements où il y avait besoin d’un joueur. J’ai essayé de faire mes preuves, de me donner à fond et il a cru en moi – comme d’autres coachs avant lui en formation. Il m’a permis de me tester avec les professionnels et de continuer avec l’équipe A [du PSG].

A.T. S. – Il y avait beaucoup de joueurs comme vous, qui faisaient la passerelle/les allers-retours du centre de formation à l’équipe pro ?

T. M . – (Il réfléchit) Oui oui, il y en avait… Après moi j’étais dans une génération où ça partait des 87 (Chantome, Mulumbu…) jusqu’au 90, donc il y avait Sakho, Partouche et moi. Et cette génération là, la chance qu’on a eu, c’est qu’il y avait [Guy] Lacombe qui était là, avant Paul Le Guen, et en étant surclassé j’ai été Champion de France à 18 ans avec la génération 87, donc j’ai été surclassé de deux ans.

Après tout ça, Lacombe a pris pratiquement tous les joueurs qui ont été Champion de France, et moi j’ai eu la chance d’être là au moment où la formation au PSG, était mise en avant avec les professionnels. 

A.T. S. – Il voulait que ceux qui étaient formés [en centre de formation] apprennent vite, en les envoyant avec les professionnels ?

T. M – Voilà et sur notre formation on devait être 8/9 à avoir signé pro, donc c’est quand même énorme dans une formation.

A.T. S. – Comment vous est venu votre passion du ballon rond ? Est-ce que quand vous aviez débuté votre formation à 12 ans au PSG, c’était déjà un objectif pour vous d’être professionnel ?

T. M. – Franchement pour dire la vérité, même pas. Durant mon enfance, mon père jouait au foot, et quand je le suivais au stade les dimanches matins, il jouait avec les vétérans. Donc j’allais tout le temps avec lui, je l’accompagnais, et moi j’avais mon ballon et je jouais sur le côté. Ma passion est venue comme ça, mon grand frère aussi jouait au foot, quand on était plus jeune, donc c’était de famille, ça m’a permis d’aimer le ballon de cette façon.

Après je ne regardais pas de matches à la TV quand j’étais plus jeune, peut-être parce qu’on n’avait pas Canal+, je ne sais pas. Je suis parti une seule fois au stade, mon père m’avait amené à PSG-Monaco, je devais avoir 9/10 ans. Après j’ai eu la chance avec mon club de l’ACBB – durant la Coupe du Monde 98 – d’assister à Brésil-Chili au Parc des Princes. 


« Je ne savais pas comment on pouvait devenir pro. »


Quand je suis rentré au PSG, je ne savais pas comment on pouvait devenir pro. J’aimais plus le foot, que le fait d’avoir une détermination à devenir pro. J’aimais tellement le foot et le fait d’être au PSG, c’était tellement beau, parce que le PSG à ce moment-là c’était Ronaldinho et co, c’était des joueurs qui avaient [une expérience], c’était une bonne équipe, il faut dire la vérité. Donc le fait de rentrer [dans ce groupe], c’était super, et même le niveau international du PSG, c’était un club de prestige, parce que j’ai fait des tournois dans des pays, qu’aujourd’hui je ne pense pas pouvoir visiter.

Dans ma tête, c’était plus en terme de prestige et de fierté de porter le maillot du PSG, que de me dire qu’il faut que je termine pro, parce que je ne pouvais pas savoir comment ça allait se passer.

A.T. S. – Pourriez-vous nous parler de vos années au PSG ? Pourquoi n’y êtes-vous pas resté ? Est-ce que c’est dû au temps de jeu, à la concurrence ?

T. M. – A 19 ans, j’ai signé 3 ans au PSG. Après le départ de Paul Le Guen, et l’arrivée d’Antoine Kombouaré, il y a eu une scission, et ce n’était pas une relation saine. Je suis restée deux ans finalement, et la relation entre lui [Kombouaré] et moi, c’était « je t’aime, moi non plus ».

Oui il y avait la concurrence, mais moi je suis quelqu’un de patient, donc je pouvais attendre [ma chance]. Mais il faut être clair, il ne faut pas jouer sur ça, on est des hommes, faut être honnête l’un vis à vis de l’autre, et se dire les choses en face. Je préfère qu’on me dise les choses directement et qu’on soit vrai, que ça soit clair et net, que d’essayer de parler entre les lignes, cacher sa vraie pensée, réfléchir etc Si on me dit clairement les choses, je peux essayer de m’améliorer, si ça ne fonctionne pas, tant pis [pour moi].

Et avec Kombouaré c’était vraiment bloqué et c’est ça qui me déstabilisait, parce que j’étais un jeune joueur, je n’étais encore qu’en post-formation, je n’avais que 19 ans.

A.T. S. – Est-ce que le fait de ne pas jouer à votre poste, a également joué sur votre envie de partir peut-être ?

T. M. – Je suis milieu de terrain de formation. Quand Paul Le Guen est arrivé [au PSG], et qu’il m’a pris [avec les pros], je jouais milieu de terrain avec lui, j’avais 17/18 ans. Et puis la saison d’après, quand j’ai eu 18 ans, il n’y avait que [Sylvain] Armand en latéral gauche, et moi je m’entraînais déjà avec eux [les pros]. Je faisais l’ascenseur, entre l’équipe réserve/les 18 ans et les pros. 

Et un jour on est venu me parler pour me dire que ça serait mieux que je sois latéral gauche, parce qu’ils « croyaient en moi à ce poste là », mais ils m’avaient caché le fond de leur pensée, le fait qu’il avait surtout besoin d’un autre latéral gauche. Au début j’ai dit non, ce n’est pas possible. 

A.T. S. – Parce que latéral et milieu, ce sont deux postes qui n’ont rien à voir ?

T. M. – Oui ça n’a rien à voir et moi je leur ai dit que ce n’était pas faisable, que j’étais milieu de terrain et que je me sentais bien à ce poste. En plus je m’entraînais avec les pros, donc je ne voyais pas le rapport, ce qui allait changer. Le temps passe, et après mure réflexion, j’ai accepté, mais aujourd’hui je regrette pas d’être passé latéral gauche. C’était pour un objectif [au bout]. 

J’ai fait par la suite mon premier banc, contre Lorient au Parc des Princes, donc tout s’est enchaîné. Je m’entraînais avec lui (Antoine Kombouaré, ndlr) régulièrement, jusqu’à aller en déplacement avec eux. Mais c’est vrai qu’avec Kombouaré c’était un coup je te mets, un coup je t’enlève du groupe, un coup je te mets milieu gauche à -10°, ce sont que des choses comme ça en fait.

A.T. S. – Vous aviez un suivi autour de vous ? Parce qu’à 17 ans/18 ans ou même 19 ans on est très jeune dans le milieu du foot, on n’a pas assez de recul sur la vie on va dire… Est-ce que vous aviez des gens qui vous conseillaient autour de vous, ou est-ce que vous aviez vous-même votre propre vision, une certaine conscience à ce sujet ?

T. M. – Au début c’est un peu [déstabilisant]. Quand t’es jeune, les gens vont te dire qu’il faut avoir une structure, mais c’est compliqué en fait, toi t’es au centre de formation, tu es dans un environnement un peu fermé on va dire, parce que tu ne sors pas. Je ne faisais fait que « entraînement, études », c’est un cercle répétitif tous les jours, donc tu n’as pas assez de recul [sur ce qui se passe autour]. 

« Tout le monde n’arrive pas en pro »

Et après on est dans un environnement qui est beaucoup individuel, le foot c’est individualiste. Parce que tu sais que tu es en formation, mais qu’au niveau supérieur il y en a 400 qui vont partir. Tout le monde n’est pas pris. Quand j’y suis entré, on m’a dit qu’il y avait une pyramide, et qu’il y’en aura qu’un seul qui sera au-dessus. Tout le monde n’arrive pas en pro, en somme. Au foot, il y’a une partie collective, mais c’est beaucoup plus individuel au final. Si tu joues, tu restes, mais si l’autre à côté de toi ne joue pas bien – oui tu seras un peu énervé – mais lui il s’en va c’est la vie, et toi tu restes et t’es content.

A.T. S. – A côté vous étiez appelé en sélection ?

T. M. – J’ai été appelé en équipe de France 18 ans, avec laquelle j’ai fait un tournoi. Après j’ai fait la sélection 19 ans, avec laquelle j’ai fait toute une saison, jusqu’au championnat d’Europe, où on s’est fait éliminer en demi-finale contre l’Angleterre et puis j’ai fait 5 sélections en équipe de France espoir.


              « Chacun sacrifie une partie de son temps pour le football. »

A.T. S. – Vous dîtes que le football « ce n’est pas un métier facile », de l’extérieur peu voient tous les sacrifices et les difficultés qu’un footballeur doit faire, les aléas d’une carrière. Et vous vous en avez connu, tous les footballeurs en connaissent dans leur carrière. Comment on gère cet aspect ?

T. M. – Oui mais c’est à peu près comme tous les sports, ce n’est pas facile, tu as des sacrifices à faire en termes d’amitié, de famille, il y a plein de choses et chacun sacrifie une partie de son temps pour le football. Il n’y a pas de vérité dans le foot, ce n’est pas parce que tu dors à 23h que tu seras bon le lendemain etc Il y a d’autres aspects qu’il faut prendre en compte, comme le mental, le stress à gérer… 

Et de l’autre côté beaucoup de gens croient en toi, donc moi je sais que j’ai sacrifié beaucoup de choses, je m’interdisais des sorties pour dormir assez tôt, je devais me réveiller tôt aussi pour aller m’entraîner. Après quand tu grandis, tu te dis que c’est bien, mais ce n’est pas ça [dont tu rêves].

« C’est ce formatage un peu que je ne tolère pas. »

A.T. S. – Il y a un peu de frustration aussi ? Parce que vous ne pouvez pas vraiment faire ce que vous voulez de vos journées, vous devez être toujours formaté/formalisé autour du football ? Si vous voulez être un Cristiano Ronaldo, hyper préparé, ce sont des sacrifices à faire ?

T. M. – Oui c’est ça, et moi c’est ce formatage un peu que je ne tolère pas. 

On n’est pas tous des Cristiano Ronaldo. Pour lui son corps et son esprit ont accepté [tous ces efforts à faire]. Et il y en a d’autres, comme par exemple [Eden] Hazard, qui l’a dit clairement quand il était à Lille, lui la musculation et les abdos, ce n’est pas son truc. Pourtant il est au Real de Madrid aujourd’hui et c’est là que je dis qu’il n’y a pas de vérité [dans le foot]. Ce sont des états d’esprit ! Tu as Messi c’est le talent [c’est inné], tu as Cristiano qui a le talent aussi, mais c’est aussi beaucoup de travail, tu as Ronaldhino c’est la magie. Pour aller en haut, il n’y a pas de vérité, le plus important c’est d’être prêt le jour du match !

Oui Ronaldhino c’est aussi le Brésil qui est un pays de foot (5 trophées en Coupe du Monde), il y’a les racines qu’il faut garder, mais après il y a les faits aussi qui sont là, qui vont dépendre de toi ou pas, et c’est ce qui va faire que tu seras un joueur de renom ou non. 

Moi j’ai fait pas mal de Ligue 2, je me disais : « Ecoute, ce n’est pas grave, la Ligue 1 ce n’est pas une fin en soi, il faut que je sois bon en Ligue 2, il faut que je sois une référence ». Et aujourd’hui en Ligue 2 – surtout après l’étranger, et un petit peu en France – je peux dire que je suis un joueur de Ligue 2, parce que j’ai fait des bons matches [dans ce championnat]. Certains me demandent si je ne suis pas un peu triste de ne pas avoir joué la Ligue des Champions, mais oui c’est normal de l’être, parce qu’on regarde à la TV, mais ça n’enlève en rien ce que j’ai fait dans ma carrière.

A. T. S. – Le football c’est un cheminement de carrière, parce qu’on ne peut pas tout contrôler dans son parcours au final ?

T. M. – On ne peut pas tout contrôler et le problème c’est que les gens ont une idée du football, ils vont beaucoup trop chercher le haut niveau.

A. T. S. – On voit parfois des joueurs qui mériteraient mieux et qui n’ont pas forcément la chance de prouver [leur niveau] ? Et parfois on a l’impression que c’est limite « à la tête » qu’on est choisi, et pas vraiment selon son niveau ?

T. M. – Voilà ! Parce que c’est comme ça, c’est le foot qui est comme ça. Quand on regarde le foot à la TV on voit que le bon côté on va dire, mais on ne voit pas ce qui est caché derrière. Le foot ce ne sont pas que les étoiles qui brillent [dans les yeux des gens et des joueurs], tu sais que derrière il y a aussi des racines mortes, des galères, des moments difficiles à gérer… 

Dans le football il y a beaucoup de choses que les gens ne connaissent pas [du quotidien d’un joueur par exemple], il y a la tête [le mental], il y a aussi le racisme que tu as dans le football, et tu as aussi le pouvoir, la popularité, le réseau, les relations avec les coachs et certains joueurs qui font partis [de la table de décision] à prendre en compte. Il y a plein de choses que les gens ne savent pas, que nous footballeurs on sait mais qu’on ne peut pas trop dire. 

Les gens vont nous dire que ça doit rester dans le vestiaire, mais justement ce qui reste dans le vestiaire c’est la causerie du coach ou la stratégie, mais le reste il faut le dénoncer, parce que si tu ne le fais pas [ça peut te porter préjudice]… A l’image de Dimitri Payet, quand il a parlé de Garcia, qui avait « démoli » Lyon quand il était avec Marseille… Tu peux parler et être bon sur le terrain. Les gens ne prennent pas en compte tout ce qui se passe dans le foot. La plupart des gens ne voient que le match, mais pas le ressenti du joueur quand il est sur le terrain ou le fait qu’il doit gérer tout le reste. Le pire c’est ceux qui sont devant leur TV, et qui pensent toujours pouvoir faire mieux que le joueur sur le terrain. 

« Il y a aussi l’aspect humain à prendre en compte chez un joueur. »

A.T. S. – Est-ce que vous pensez que les gens ne se mettent pas assez à votre place ?

T. M. – On est certes des sportifs de haut niveau, en professionnels ou en amateurs, on a tout de même un côté humain. Et cet aspect humain il faut le jongler avec le côté football professionnel.

Par exemple quand tu as un décès dans ta famille, ou que tu as aussi des aléas de la vie à gérer à côté du foot. Moi quand je regarde les matches, je regarde aussi beaucoup les attitudes des joueurs, et tu ressens, quand tu vois le joueur tu te dis : « Il a peut être quelque chose. » Puis la vérité finit toujours par être sue au final…

Il y a aussi l’aspect humain à prendre en compte chez un joueur. On a du mal à le faire, moi en premier quand je vois les matches de Paris par exemple, des fois je pète des câbles, parce qu’on est trop pris par le jeu.

A.T. S. – Vous parlez à un moment aussi d’attitude, du caractère, qui vous a joué des tours, par rapport à votre côté timide et réservé, peut-être que les gens voyaient un côté froid en vous. C’est important pour un footballeur de contrôler aussi cet aspect de sa personnalité, hors du terrain également, pour sa carrière ?

T. M. – (Il réfléchit) Oui c’est important. Après dans le foot, pour en venir un peu en dehors, tu as des principes et des valeurs, une éducation que tes parents t’ont donné. Tes parents te disent : « Quand il y a des gens tu leur dis bonjour, tu leur dire au revoir, merci, s’il te plait… Quand il y a une grande personne qui parle, tu te tais, tu l’écoutes, tu te fais petit ». Et quand tes parents – surtout parce qu’ils sont issus de l’immigration – te disent ces choses-là, il faut faire preuve de respect et l’appliquer. Ils ne te disent pas ça pour [faire genre], ils disent ça parce que ce sont tes racines, c’est ce qui va te permettre de grandir, et ils ont connu des choses – que peut être nous on commence à connaître [avec l’âge], par rapport à ce qui se passe, par rapport à l’actualité [le racisme] – qu’eux ont vécu quand ils sont arrivés en France. 

Nous on est là en France, mais nos parents ils sont venus en France, donc eux ils ont connu peut-être une forme de racisme, de discrimination. Quand on était petits, nos parents nous parlaient de certaines valeurs pour éviter tout ça. Donc je me disais qu’il fallait pas que je sois « sauvage », que je prenne la confiance comme tu dis, que je sois hautain, arrogant… 

Aujourd’hui je me demande si je n’aurais pas dû jouer un rôle, pour être plus ouvert, pour aller contre les valeurs de simplicité que mes parents m’avaient inculquées, d’être en retrait etc J’aurai dû jouer un rôle, puisque j’étais dans un métier [d’apparence aussi], même si l’attente principale est sur le terrain, il y a aussi le côté relationnel, d’aller discuter avec le coach sur des sujets personnels, sur les matches du championnat etc Il fallait peut être que je rentre dans une relation de communication avec le coach, pour qu’il y a un vrai lien qui se créé.

Peut-être que j’aurai dû être plus comme ça, mais ça ne m’aurait peut être pas assuré de jouer certains matches non plus. Mais je me dis parfois : « Est-ce que dans le foot, il ne faut pas jouer la comédie pour arriver en haut ? » Parce que le but d’un footballeur, c’est d’avoir le meilleur contrat possible. Mais je n’étais pas dans cet état d’esprit-là, je voulais rester moi-même et pour moi c’était le ballon qui comptait, et qui devait primer. Si je suis bon sur le terrain, je joue, mais si je ne suis pas bon, on en discute, mais par contre dès que je mets un pied en dehors de la pelouse, c’est fini en fait, je ne suis plus un « footballeur ». Maintenant le foot c’est au-delà de ça, ce sont des codes.

A.T. S. – Le chômage d’un footballeur, les galères d’un footballeur : vous parlez aussi des joueurs qui galèrent dans le foot, par rapport à l’image presque bling bling qu’on voit à la télé ou dans les médias. C’est un aspect difficile à gérer pour un footballeur, voir pour un homme dans le milieu du foot ?

T. M. – C’est un pourcentage réduit [de joueurs] qui touchent énormément dans le foot, mais la plupart touchent des sommes raisonnables selon le pays où ils jouent… Maintenant je joue en première division au Luxembourg, et je suis au SMIC luxembourgeois. Après je suis parti au Portugal aussi [durant ma carrière], et j’avais des joueurs à côté de moi qui touchaient 900€, alors qu’on était en deuxième division portugaise, même s’il n’a que 19 ans, il a signé un contrat professionnel. 

« Les gens ont pris cette petite minorité [qui gagnent des sommes astronomiques], comme la réalité du football. »

Les gens ont pris cette petite minorité [qui gagnent des sommes astronomiques], comme la réalité du football. C’est ce qui fait que c’est difficile de sortir de cette image, parce que le footballeur est pointé du doigt du fait des grosses sommes qu’il peut toucher. 

Et pour parler du chômage, c’est compliqué à gérer, parce que c’est un arrêt [dans ta carrière], tu perds beaucoup [de temps]. Tu te lèves tous les matins pour faire ce que tu aimes, tu as un travail, et d’un coup tu te lèves le matin et tu ne sais pas ce que tu dois faire, parce que y’en a qui n’ont pas de diplômes. Il y’en a qui en ont, mais ils ne veulent pas arrêter le foot, alors il reste dans le milieu, donc c’est difficile. Je ne vais pas dire que tu entres dans une dépression, même s’il y’en a qui peuvent tomber dedans, mais c’est une chose qui n’est pas facile à gérer. Quand t’es un athlète de haut niveau ou que tu l’as été, tu ne réfléchis pas de la même façon. 

Maintenant je suis au Luxembourg, et je me dis que j’aurai pu faire d’autres choses quand j’étais au chômage, au lieu de rester focalisé dans le foot. Je continuais à me préparer, j’avais un préparateur physique, je faisais quelque match, j’étais toujours au téléphone avec certains agents qui me promettaient monts et merveilles. Je n’accordais pas trop d’importance à ce qui était extérieur au foot. J’ai fini par trouver un club, mais après deux ans de chômage…

A. T. S. – Donc il faut dire aux jeunes qui ont des étoiles plein les yeux de voir les joueurs à la TV et qui rêvent de devenir comme eux, qu’il faut quand même garder les pieds sur terre ?

T. M. – Oui il faut garder les pieds sur terre. En France, tu peux avoir un salaire moyen de 30.000€/mois, en Ligue 2 il doit être à 4.000€/5000€ par mois et encore, il peut être un peu plus bas maintenant. Mais ça c’est en France, si tu vas en Roumanie ou ailleurs, c’est tout autre chose, à part dans les grands clubs… Il ne faut pas s’attendre à avoir des grosses sommes. Après bien sûr gagner de l’argent, c’est très bien, c’est une forme de liberté, ça te permet de faire des choses, mais il ne faut pas se focaliser dessus. 

Une carrière ce n’est pas forcément sur une pente ascendante. Moi quand j’ai signé au PSG, je me suis dit que si j’y reste toute ma vie c’est bien, mais j’aimerai bien aller à Manchester, et après dans un autre club etc J’avais un plan de carrière on va dire oui.

Pour moi, après Paris et les aléas, j’ai trouvé une porte de sortie qui a été Brest, mais en allant à Brest j’ai beaucoup appris sur moi-même, et après je me suis dit que ça peut déboucher sur un autre club, mais si ce n’était pas le cas, comment je fais ? Je n’étais pas dans ces calculs « négatifs », je n’étais basé que sur une pente ascendante dans ma tête. Et les jeunes il ne faut pas qu’ils aillent dans ce schéma-là, en se disant qu’ils se dévalorisent en allant dans un club moins haut [au classement].

« Il y a tellement de choses que tu ne maîtrises pas dans le football »

Il y a tellement de choses que tu ne maîtrises pas dans le football, mis à part ta préparation, que tu ne peux pas être sûr de ton parcours. A 18 ans tu n’as pas de recul, tu es euphorique d’être dans un club, tu vois les gens autour de toi qui t’encensent en plus, donc tu es dans une sphère qui te galvanise, et ça peut être contre productif.

A. T. S. – Vous aviez de la pression personnellement quand vous avez débuté dans le monde professionnel, ou même lors de votre formation de base ?

T. M. – Oui bien sûr, j’ai eu pas mal de stress quand je jouais. Ce n’est pas qu’on cache bien notre stress, c’est qu’on est obligé de gérer cet aspect déjà, et les gens ne voient pas ce côté [du footballeur]. 

Il faut aussi mettre en corrélation ce que le joueur fait à l’entraînement et ce qui se passe lors des matches. Il y a beaucoup de joueurs qui font des trucs fous à l’entraînement, qui sont hors normes, tous les jours il doit jouer ce joueur, c’est un phénomène, il est très fort, mais dès que tu le mets en match le week-end, il n’arrive pas à reproduire ça sur le terrain à 100%. Il faut prendre en compte le côté psychologique, l’environnement familial, l’humeur actuelle… Il faut jouer par rapport à la réalité du match qu’on prépare également. Le foot est tellement complexe, qu’il ne faut pas le réduire à une forme de simplicité.

Propos recueillis par Dounia Mesli


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